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bloc-notes d’Axel Gryspeerdt
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Henri Cueco (Uzerche, 1929 – vit en région parisienne et en Corrèze),
Amasser.
Cueco - ® Galerie Louis Carr+® & Cie
Tout peut-il être collectionné ?
Henri Cueco nous met-il en présence de fausses collections, lui qui se proclame « collectionneur de collections » ? Car, en fait, entasser, emmagasiner, stocker des petits cailloux ordinaires, des bouts de crayons, des épluchures, des pommes de terre, des noyaux de fruits ou des paires de chaussures, voire des chaussettes usagées, si cela témoigne d’un instinct très développé de conservation, ou même d’une certaine pingrerie ou avarice, est-ce bien collectionner ? Y a-t-il équivalence avec ce que l’on peut observer en cas de rangement opéré par de vrais collectionneurs sur base d’objets soigneusement sélectionnés selon un double principe de différenciation et de ressemblance ?

Certes, le peintre, écrivain et animateur à la radio connaît l’histoire de chacun des objets qu’il a acquis, mais en général, loin du principe du collectionnisme, il les a utilisés, en quelque sorte mis à sa mesure, et en conséquence consommés. A tel point que les chaussures sont imprégnées de l’odeur de ses pieds et ont pris la forme de ceux-ci. Et que les bouts de crayon résultent d’un usage intensif de l’objet.

Les « vraies » collections – celles qui nous paraissent plus « nobles », car basées sur une certaine différenciation – il ne fait que les évoquer en passant. Ainsi, par exemple, cite-t-il parmi ses collections un ensemble de taille-crayons. Mais encore, faudrait-il ici aussi qu’il ne s’agisse pas de taille-crayons purement standardisés et identiques les uns les autres.

Chez Cueco (ph. En Quête de l'Ange 2013)
Chez Henry Cueco (ph. En Quête de l'Ange 2013)

Ses petites pierres, il en livre un inventaire montrant un repérage précis et des différences plus ou moins sensibles, semblables à celles observées chez un collectionneur de sables ou de morceaux de bois, ramenés de voyages.

Son activité ne relèverait-elle pas tout simplement d’une volonté de tout conserver ?
Comment dénommer l’action de garder ? Le terme de garderie se justifierait-il ? Celui de gardiennage ? Ou s’agit-il de séquestration d’objets ? Y retrouve-t-on bien l’étymologie du terme de conservateur ?

« Je supporte mal, écrit l’auteur de L’Inventaire des queues de cerises (Seuil, Paris, 2000), qu’on jette, qu’on détruise. Si bien qu’en plus de nos trésors arrachés aux décharges ou chinés aux puces, nous vivons parmi tous les objets dont je refuse de me défaire. Je déteste que l’on jette mes vêtements usagés, mes bouts de crayon, leurs entaillures, les papiers, les bouteilles vides. Quant aux chaussures, pour les mettre au panier, il faudrait me les faucher quasiment aux pieds ou pendant mon sommeil » (Le collectionneur de collections, Seuil, Paris, 1995, p. 9).

Cueco - L'inventaire des queues de cerises Collectionneur de collections

Quand il évoque une vieille dame qui avait mentionné sur le couvercle d’une boîte à chaussures le contenu conservé, à savoir « petits bouts de ficelle ne pouvant plus servir à rien », on ne peut qu’être pris de compassion. Cueco, lui, devient lyrique en pensant à toutes les femmes qui remplissent des boîtes de ficelles devenues inutiles. «Mais si [les ficelles] sont libres, en vrac, pêle-mêle, elles s’emmêlent, s’enlacent dans une étreinte qu’on ne peut défaire. Il faut alors les couper, les sectionner comme on le ferait des bras de pieuvres copulant» (idem, p. 34).

Dès lors, Henri Cueco semble nous plonger dans l’ambiguïté d’une idolâtrie d’objets, qui ont perdu de leur magie voire de leur esthétique, en faveur d’un empilement et d’une réplication à l’infini. Puisqu’il s’agit principalement d’objets qui présentent une similitude frappante les uns avec les autres ou ne se différencient que par de minuscules détails.

Si jamais le nom de collection pouvait leur être attribué sans usurpation, les ensembles ainsi confectionnés ne constituent-ils pas finalement des collections totalement ennuyeuses dans lesquels aucun inattendu ne peut apparaître ? Déposer des milliers de capuchons de « bics standardisés » dans une boîte ne donne pas à cette collection une illusion de « vie », une sensation de pouvoir se tourner vers l’imaginaire. Car si ces capuchons peuvent varier éventuellement de coloris – il y existe des bleus, des rouges, des verts, des noirs –, en général rien d’autre ne les distingue entre eux, ni la forme, ni la taille, ni la matière. Il en irait autrement si l’ensemble comportait des objets différenciés les uns des autres. J’ai connu ainsi de fort intéressantes collections de boutons d’habits. Mais, chez Cueco, c’est l’ordinaire, le banal, le trivial, le quasi-identique qui dominent.

H. Cueco devant deux autoportraits (ph. Carol Valade 2008)
Henry Cueco devant deux autoportraits (ph. Carol Valade 2008)

Un minuscule espoir surgirait-il cependant ?

« Parfois, écrit-il, je peins les objets que je collectionne, j’en fais de petits tableaux. Je ne sais pas pourquoi je me suis mis à faire cela » (idem, p. 7).

Au fil de la lecture d’Henri Cueco, quelques surprises et quelques trésors apparaissent. Cet homme qui se vante de tout conserver, s’est intéressé aux cartes postales, aux jouets, aux timbres, aux estampes japonaises et à l’Angélus de Millet sous toutes ses formes : assiettes, services à café, serre-livres, coussins,… « On peut aussi collectionner les porte-crayons. Il en existe en forme de tour Eiffel, petit lapin, Notre-Dame de Lourdes, Bouddha, Kremlin. On les importe de Taiwan (Taille-Wan) » (idem, p. 57).

« Naturellement, tout collectionneur couve la secrète espérance qu’un message imprévisible, forcément métaphysique ou terriblement matérialiste lui sera délivré par ses objets. En vain : le concret est si étrange, si dépourvu de mystère qu’il se renverse subitement en totale opacité de sens », souligne-t-il (idem, p. 134).
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