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Requins, caniches et autres mystificateurs :
une enquête décapante sur les excès de l'art contemporain

Par Bertrand Fraysse
Challenges, le 19.10.2017
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« There is no business, like art business », « pas de plus beau business que le business de l'art ». La phrase est attribuée au plus mythique des galeristes, Larry Gagosian. Le plus cynique aussi.
« J'aurais pu aussi bien vendre des boucles de ceinture, je suis un dealer, je vends », affirme, provocant, celui qui a exposé les plus grands artistes vivants, les plus chers surtout, Jeff Koons, Takashi Murakami, Richard Prince. Le marchand new-yorkais qui n'avait pas mis les pieds dans un musée avant l'âge de 25 ans réalise aujourd'hui un chiffre d'affaires proche de celui de Christie's, la première maison de ventes aux enchères dans le monde, et possède une collection évaluée à un milliard de dollars.

Ce n'est pas un hasard si Jean-Gabriel Fredet, journaliste à Challenges, commence son dernier livre, consacré à l'art contemporain, par le portrait de Gagosian, « l'homme le plus puissant de la planète art ».
Requins, caniches et autres mystificateurs, tel est le titre de cet ouvrage décapant, à mi-chemin entre le pamphlet et l'enquête. Les caniches sont facilement identifiables par l'œuvre reproduite en couverture, un des fameux Balloon dogs de Jeff Koons. Quant aux requins, ils font allusion à celui de Damien Hirst, plongé dans le formol et vendu 20 millions de dollars, mais aussi à tous ceux, nombreux, qui nagent dans les eaux troubles de cet univers sans foi ni loi. Déjà peint par Tom Wolfe dans son roman Bloody Miami sous les traits du « sinistre et fantomatique » Harry Goshen, grand maître de l'Art Basel Miami, Gagosian est certainement le plus redoutable d'entre eux.

[...]

La mégalomanie des « specullectors »

Excès et dérives en tout genre sont au menu de Requins, caniches et autres mystificateurs, à commencer par la folie des prix : par exemple, les 58 millions de dollars d'un Balloon Dog de Koons, record mondial en vente aux enchères pour un artiste vivant, résultat d'une habile manipulation révélée par le journaliste.
On y découvre aussi la mégalomanie – pas forcément irrationnelle – des collectionneurs-spéculateurs, rebaptisés specullectors : Eli Broad, cofondateur de Kaufman & Broad et créateur à Los Angeles d'un musée à son nom, l'ex-publicitaire britannique Charles Saatchi, le producteur et mécène américain David Geffen, sans oublier le duo français Pinault-Arnault, en quête de reconnaissance mais aussi conscients des effets de l' « artketing » (ou marketing par l'art) sur les bénéfices de leurs groupes de luxe respectifs, LVMH et Kering.

En publiant son brûlot, Jean-Gabriel Fredet s'est sans doute fait quelques ennemis dans le petit monde de l'art contemporain. Ses conclusions sont en effet sans appel. « Le marché de l'art fonctionne comme une loterie, écrit-il. Un petit nombre de gagnants (artistes et collectionneurs) mais qui empochent d'énormes gains. Et une majorité écrasante de perdants. »
Selon Donald Thompson, professeur à la London School of Economics et à New York University, « 80% des œuvres achetées sur des foires d'art ou à des marchands locaux ne se revendront jamais aussi haut que leur prix initial. » Une prédiction que confirme Marc Spiegler, patron de la foire Art Basel : « 80% des artistes qui se vendent bien aujourd'hui seront invendables dans vingt ans. »

Comme l'écrit Fredet, « porté par la bulle des prix, des ego, des gogos, l'art contemporain danse sur un volcan ». Un avertissement utile pour les visiteurs de la Fiac qui croiraient être bien inspirés en y flambant toutes leurs économies.

Tender Nurse, de Richard Prince (2002)
"Tender Nurse", de Richard Prince (2002)


Flowers in heaven, Takashi Murakami (2010)
"Flowers in heaven", Takashi Murakami (2010)


God Knows Why, oeuvre [formol] de Damien Hirst (2005)
"God Knows Why", œuvre [formol] de Damien Hirst (2005)


Damien Hirst : Toxicité et Art plastique
Article publié sur le site Médecine des arts

L'artiste plasticien Damien Hirst est connu par le grand public pour ses expositions où des animaux sont présentés dans des sortes d'aquariums remplis de produits conservateurs. Parfois les animaux sont traités avec des conservateurs puissants. Certaines de ces œuvres sont vendues autour de 10 millions de dollars.
Une de ces œuvres les plus connues est intitulée « The Physical Impossibility of Death in the Mind of Someone Living » [L’impossibilité physique de la mort dans l’esprit d’un vivant] représente un requin. Le premier requin qui avait été exposé en 1992 n'a pas résisté au temps. Quinze plus tard c'est un nouveau requin de plus de 4 mètres qui a été traité chimiquement pour mieux résister au temps. Près de 850 litres de formol ont été injectés avec de longues seringues.
"L’air est ici si toxique que le site est fermé par des portes d’acier avec code d’accès, et personne, pas même l’artiste, n’est autorisé à aller voir le requin sans attirail de protection."[Télérama 25 janvier 2007]
Ces œuvres sont exposés dans les plus grands musées ou galeries du monde, à la Tate Modern à Londres, Au Palais d'été à Pékin.
Une analyse dirigée par le chimiste italien Pier Giorgio Righetti révélée par la revue de la Société royale de chimie britannique a mis en évidence que le niveau de pollution de l'air dans ces musées lors des périodes d'exposition était élevé. L'analyse a permis de mettre en évidence que ces œuvres dégageaient dix fois plus de formaldéhyde que la valeur limite équivalent au seuil de risque. Les dosages ont été faits au voisinage des œuvres de Damien Hirst lors de l'exposition de 2012. Les deux œuvres en question étaient "Away from the Flock" et « Mother and Child (Divided) ». Les réservoirs contenant les œuvres laissaient échapper des vapeurs de formaldéhyde, un produit toxique et cancérogène.
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