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La Collectionnite selon Emmanuel Pierrat : une passion dévorante
La Collectionnite selon Emmanuel Pierrat Chronique de Salim JAY, publiée le 16 janvier 2012 dans "Le Soir Echos" (Maroc).

«Dis-moi ce que tu collectionnes, je te dirai qui tu es», tel est le credo d’Emmanuel Pierrat dont la passion de collectionneur est à la fois le blason, le fardeau et le délice.
D’où ce livre "La Collectionnite" (Le Passage, éditeur, 2011) qui est peut-être l’ouvrage le plus personnel de cet avocat graphomane, auteur de livres aussi divers que "Le Bonheur de vivre en enfer" (Maren Sell, 2004), "La guerre des copyrights" (Fayard, 2006), "Nouvelles brèves de prétoire" (Chifflet et Cie, 2008) ou encore, la même année (!) "Une idée érotique par jour" (Chêne) et "Comprendre l’art africain" (toujours aux éditions du Chêne), sans compter une foultitude d’ouvrages juridiques portant sur le droit d’auteur et l’édition.
Dès lors, on est plutôt surpris qu’Emmanuel Pierrat ait traduit de l’anglais les "Pensées paresseuses d’un paresseux" (Arléa, 1996) de Jérôme K. Jérôme (en collaboration avec Claude Pinganaud auquel il arriva, quant à lui, de s’adonner à prodiguer une version «modernisée» des "Essais" de Montaigne).

Que d’anecdotes effarantes dans "La Collectionnite", un ouvrage qui se dédie autant à la compulsion, voire à la manie, qu’il invite à la réflexion et à la rêverie !
L’humour est ce qui sauve Emmanuel Pierrat du gouffre d’énigmes dans lequel pourrait le pousser sa propre passion de collectionneur. D’emblée, il cite un certain Steven Wright : «J’ai une grande collection de coquillages que je disperse sur les plages du monde. Peut-être l’avez-vous vue.»
Ainsi, la dimension d’infini dérisoire de toute collection nous est-elle indiquée. Collectionner, c’est désirer. Mais le désir peut-il être illimité sans qu’il en devienne inconvenant ?

Un aveu ironique d’Henry de Montherlant est aussi proposé à notre méditation : «Je baisse les yeux en passant devant un magasin d’antiquaire, comme un séminariste passant devant une boîte de nuit.» Ce désir impérieux d’acquérir une pièce de collection supplémentaire, l’auteur de "La Rose de sable", le roman marocain de Montherlant, n’en a pas triomphé : il posséda une considérable collection de statues antiques, et son fils Jean-Claude Barat fut… antiquaire sur le boulevard Saint-Germain !

C’est Violet Trefusis qui a sans doute le mieux perçu de quoi il retourne en écrivant ceci : «Je n’aime pas les musées, on ne peut rien y acheter.»

Emmanuel Pierrat n’hésite pas à considérer la collectionnite comme une pathologie «aux symptômes plus ou moins épouvantables pour les proches, les finances, la décoration…»

J’ai eu un exemple frappant des dégâts de la collectionnite sur la décoration, précisément, chaque fois que je me suis rendu chez Jean Margat, l’hydrologue dont je vous ai ici conté, il y a quelques mois, le séjour dans le Tafilalet avec ses jeunes confrères marocains. Jean Margat vient de fêter ses 88 ans et est le principal collectionneur de Jocondes de France, de Navarre et, sans doute, du monde. Sa villa abrite 10.000 pièces de collection : poupées, statues, peintures, oreillers, tasses et théières, savons et dentifrices, où est imprimé l’énigmatique sourire de Mona Lisa, comme aussi bien sur des timbres du monde entier ou des caricatures parues (depuis plus d’un demi siècle !) dans la presse du monde entier…Cette aventure effarante d’un homme qui est, par ailleurs, un hydrologue dont la vie professionnelle a été couronnée par l’Unesco, m’a tant surpris que j’en ai fait le sujet d’un roman en cours d’écriture : "Le Collectionneur de Jocondes".

Emmanuel Pierrat, lui, se définit comme un «fondu d’art tribal». Mais il s’attache à nous décrire les autres, tel dentiste ou avocat dont «la clientèle est constituée d’artistes impécunieux : leur cabinet se transforme en garde-croûtes.»

La collectionnite commence tôt : accumulation de timbres, de sucres enrobés où s’affichent des visages ou des paysages. Pierrat confie : «Un de mes tiroirs abrite des fèves en pagaille.» Aujourd’hui, chez les libraires d’anciens, il est en concurrence avec son frère cadet !
La surface d’exposition est le problème crucial : «Rares sont les collectionneurs qui ne se heurtent pas… aux murs de leur appartement.»
C’est ainsi que mon cher Jean Margat a commencé le transport d’une partie de sa collection dans celles… du Louvre, qui envisage de la montrer dans l’une de ses annexes futures !

«Tout collectionneur, à l’exception d’une poignée de milliardaires qui en arrivent à ne jamais voir les œuvres amassées, se trouve tôt ou tard limité financièrement» constate Emmanuel Pierrat, qui pourtant n’est pas à court de solutions : pour acquérir tel ou tel livre rare, il revend tel ou tel autre. Mais l’acharnement à collectionner des vaches en bois, en fer, en plastique ou en papier, cela prive-t-il certains collectionneurs de lait et de fromage ? Sur cette question qui participe du secret des âmes, j’abandonne chacun d’entre vous à la collection d’heures qui l’attend.

Salim Jay

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