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L'Obsession du Matto-Grosso, de Christophe Bier
Paris, éd. du Sandre, 2020, 96 p.

Collection rime avec passion, collectionneur et tiédeur ne vont pas ensemble. Et rapidement –inévitablement ? – la passion tourne à l'obsession, douce bien entendu, même si le danger n'est jamais loin (nous connaissons tous des collectionneurs qui se suicident après avoir perdu leurs trésors).

Le cas de Christophe Bier, grand spécialiste du cinéma érotique et pornographique (en 16 et 35 mm, ajoute-t-il, avec un sens de la précision qui n'a d'égal que son humour), est doublement exemplaire du mode de l'obsession, qui concerne à la fois le sujet et l'objet de la collection. Le sujet : l'investissement personnel de qui consacre sa vie à trouver ce qui lui manque. L'objet : une série de textes liés à des pratiques et des comportements hors du commun. Rien de plus partagé, bien sûr, que l'érotisme, mais la collection très particulière dont l'auteur nous dévoile ici tous les dessous l'est sans doute un peu moins : la flagellation masochiste, les histoires de maîtres et de soumises, d'esclaves et de maîtresses, gravitant ici autour du thème des montures humaines.

Voilà pour le genre. Mais quid de la collection ? Comment s'y prendre, après le choc de la découverte adolescente, tout à fait par hasard dans un rayon livres du supermarché Carrefour, d'Attelages humains, réédition en poche d'un livre sulfureux, caractéristique de l'érotisme dit « de second rayon », pour retrouver l'édition originale, puis tous les autres volumes de la collection « Sélect-Bibliothèque » ?

L'Obsession du Matto-Grosso est le récit de cette quête, qui se lit comme l'aventure d'une vie. Le livre est jubilatoire quant au style, palpitant comme un roman policier, autobiographique sans être égotiste (la collection prime le collectionneur) et, n'omettons pas d'y insister, subtilement et intelligemment illustré. Bref, un texte contagieux qui devrait donner à n'importe quel lecteur de se faire prendre par le virus et se faire collectionneur à son tour.

Le récit de Christophe Bier est, presque littéralement, fantastique. L'Obsession du Matto-Grosso est un véritable manuel, non par la théorie mais par l'exemple, de ce qui peut et doit se faire quand on se lance à la recherche du Graal, quelle que soit la manière dont chacun définit le sien. C'est aussi un avertissement, ou plutôt une promesse : la vie cesse d'être banale, tout se met à faire signe, chaque échec ou fausse piste conduit à de nouvelles surprises, curiosité et acharnement aidant, et pour finir débouche sur un incroyable happy ending : la reconstitution de l'ensemble de la « Sélect-Bibliothèque », dont Christophe Bier nous décline tous les autres avec toutes les références bibliographiques indispensables.

Fin de l'histoire ? Nullement. Le collectionneur comblé n'est pas pour autant rassasié. La série étant close, autant relancer le jeu en ajoutant soi-même de nouvelles collections et voilà le lecteur de « Sélect-Bibliographie » devenu auteur de nouveaux tomes, à paraître bientôt sous de nouvelles couvertures. À nous de les lire et pourquoi pas de les collectionner, en dépit des pièges qui risquent de nous être tendus. Mais comme l'auteur nous aime bien, nous accepterons gaiment d'être bien châtiés par lui.

Jan Baetens
mars 2022

L'Obsession du Matto-Grosso


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