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Adrien Goetz, Mes musées en liberté.
120 promenades artistiques en France
Paris, Grasset, 2024, 352 pages.

« Plus on visite de musées, plus on prend de plaisir à les visiter : ceux qui sont des familiers de ces lieux le savent bien. Les œuvres se répondent entre elles, la découverte de l'une entraîne la réminiscence d'une autre. Et petit à petit, c'est tout un monde, une histoire, une époque qui se donnent à voir, à comprendre » (Anne-Laure Béatrix, Dictionnaire amoureux des Musées, Paris, Plon, 2022, p. 470).
Cette citation, qui ne provient pas du livre d'Adrien Goetz, renseigne particulièrement bien sur l'état d'esprit de celui-ci, ainsi que sur sa démarche. La visite d'un musée entraîne celle d'un autre. Comme l'auteur l'écrit à propos de Strasbourg, mais aussi de tant d'autres cités, cette ville « compte de nombreux musées. Il faut tous les voir et ne pas se contenter de l'admirable cathédrale si bien décrite par Victor Hugo dans Le Rhin » (p. 156). Il n'y a pas plus amoureux des musées que lui. Pour lui, ils sont essentiels à la vie. Il rejoint en cela les écrits de A.-L. Béatrix, affichant avec celle-ci-ci une symétrie de pensée.
Les deux livres partagent le même engouement et le même enthousiasme pour les musées qui leur apparaissent source et ressourcement de vie. Même si l'ouvrage rédigé par la directrice de la communication du Louvre s'intéresse aux musées du monde entier, en dépassant largement les limites de la France (allant sur tous les continents), ils participent d'un même regard sur eux. Les deux auteurs se focalisent sur le visage et sur l'âme des musées. Le visage : l'architecture, les bâtiments, les parcours, l'apparence ; l'âme : le ressenti, la perception, l'ambiance, les trésors contenus, le calme et le silence des lieux. Tous deux se montrent émerveillés, fascinés par la beauté des contenus et l'architecture des lieux, et leur projet consiste à dresser le portrait des musées pour le donner à voir à leurs lecteurs. Ce qui vaut une fort belle définition du musée comme « la rencontre d'une architecture et d'une collection » (p. 111), tout en insistant sur le fait que les musées se transforment régulièrement (p. 113) et qu'il leur est nécessaire de faire de nouvelles acquisitions, selon le précepte énoncé par le collectionneur et historien de l'art Pierre Rosenberg « qui a coutume de dire qu'un musée qui n'achète pas est un musée qui meurt » (p. 268).

À la manière de Anne Reverseau (Le Portrait de pays illustrés : un genre phototextuel, Paris, Classiques Garnier, 2017) et de David Martens (« Qu'est-ce que le Portrait de Pays ? Esquisse de physionomie d'un genre mineur », Poétique, 184, 2018, p. 247- 268), qui définissent le portrait des pays et des villes comme un genre littéraire spécifique différent du guide touristique et des récits de voyages, ils confortent l'un et l'autre l'idée qu'il existerait un genre bien déterminé identifiable au portrait de musées. Genre qui incarnerait le visage et l'âme des lieux.
Ce genre, déterminé sur base de l'apport de D. Martens et A. Reverseau, ne semble pas neuf dans la littérature de voyage. Déjà, dans la décennie 1990, des ouvrages publiés par les éditions Bordas relevaient de cette perspective. Certes, Les Hauts Lieux de l'Art Moderne en France, rédigé par Edina Bernard (Paris, Bordas, 1991) et Les Hauts Lieux de la Peinture en France, écrit par Pierre Cabanne (Paris, Bordas, 1991) traitaient majoritairement des œuvres d'art et de leurs créateurs, mais les portraits de musées y occupaient une place très significative. Leurs précieuses annexes, consacrées aux musées français, leurs index des noms de personnes et des lieux, et la systématisation des adresses des lieux répertoriés leur conféraient un accent pratique que ni le dictionnaire amoureux de A.-L. Béatrix, ni le parcours muséal mis en texte par A. Goetz ne développent, ces derniers accentuant le genre portrait de musée, au détriment du récit de voyage, qu'ils incorporent dans les portraits, et du guide de voyage.
En effet, aucune caractéristique de guide de voyage dans le livre d'A. Goetz (ni d'ailleurs dans celui de A.-L. Béatrix), aucun relevé d'adresses précises, aucun relevé d'horaires ni d'autres informations pratiques dans son ouvrage. Selon D. Martens (ibid., p. 261), ce relevé « suppose une apparence d'exhaustivité qui n'est pas attendue d'un portrait, dont la vocation prépondérante est de livrer une synthèse identitaire ». Une synthèse et une manifestation d'amour en l'occurrence. Un témoignage engagé en place d'un pilotage et d'un guidage. L'absence de toute illustration renforce même l'aspect plutôt éthéré de son livre, en éliminant des points de repères hors des assertions et des descriptions. Les deux auteurs sont ainsi d'habiles dessinateurs textuels de musées, permettant à leurs lecteurs de discerner ce qu'ils ressentent de leur plongée (ou même de leurs plongées plus ou moins fréquentes) sur place. Le livre d'A.-L. Béatrix (ibid.) est agrémenté çà et là par quelques illustrations (dessins d'Alain Bouldouyre) et celui d'A. Goetz présente, en couverture, une photographie de Karen Knorr de sa série Connaisseurs (2009), intitulée « The Analysis of Beauty », initiant à sa démarche. En ouvrant leur amour toujours imprégné d'une bonne dose de subjectivité aux musées de leurs choix, chacun des deux auteurs fait apparaître ses musées chouchous, ceux qui leur confèrent le plus de plaisir, cette posture ayant pour effet de favoriser le partage de leur passion par les lecteurs. Leur défi n'est-il pas de donner à comprendre de l'intérieur la sélection des musées retenus et d'amener les publics à les visiter et les revisiter ? La passion pour un musée provoquant la passion pour d'autres musées. Le musée incitant à la découverte de son environnement, de la nature, de la ville, de la région, dont il n'est guère indépendant, et dont il paraît l'élément déclencheur de ces découvertes territoriales.

Même s'il affiche une nette préférence pour les musées d'histoire, en particulier pour les musées du XVIIe au XIXe siècles, A. Goetz n'hésite pas à tomber amoureux d'autres types de musées : d'art moderne et contemporain, d'art sacré, d'imagerie musicale, d'archéologie, de porcelaine, de faïence et de poterie, de dentelle ou d'orfèvrerie ou de tapisserie, d'estampes et de bandes dessinées (avec une plume au chapeau pour les œuvres d'Hergé), ainsi que des musées universitaires et des cabinets de curiosité (parmi lesquels le petit reliquaire profane de Vivant Denon). Que les musées en question soient grands ou petits, peu lui importe. Peu lui importe aussi que les institutions muséales soient connues ou négligées, voire oubliées. Ce sont les trésors qu'elles contiennent qui le passionnent, de même que les relations existant entre ceux-ci et l'écrin qui les abrite. Régulièrement, d'un musée à un autre, il relève les parentés et les filiations existant entre les œuvres, même celles d'origines très différentes, et celles relatives aux musées, amenant ainsi par exemple le visiteur du musée de la Révolution française à Vizille à se rendre à Cholet, célébrer les héros des combats monarchistes. Ainsi aborde-t-il une œuvre par une autre, un endroit par un autre, dévoilant le réseau souvent invisible qui les relie.
Et comme les musées ne se sont pas faits tout seuls, il rend un hommage appuyé aux personnes qui les font exister, à commencer par leurs fondateurs, le plus souvent, un collectionneur ou un couple de collectionneurs, un mécène, un amateur d'art, qui va donner son nom au musée en question. Vu leur grand nombre, il est impossible de citer ici les noms qu'il épingle. Quel grand florilège de créateurs ! Quelle belle galerie de personnalités, dont il dresse avec plaisir le portrait. Il fait preuve d'une belle érudition en constatant des liens de parentés entre collectionneurs ou encore les liens d'amitiés qui lient les fondateurs avec les milieux artistiques, mais aussi littéraires ou poétiques. Dommage qu'aucun index ne les reprenne. Car l'hommage rendu à ceux qui font les musées est une des particularités très sensible de l'ouvrage. Il y a toujours une pluralité de personnes pour les faire exister. Non seulement les fondateurs et les directeurs, les conservateurs les commissaires et les metteurs en scène, les architectes et les rénovateurs, les donateurs, les bienfaiteurs et les mécènes, mais encore les gardiens, les personnes chargées de l'accueil, les médiateurs et animateurs, etc. Avec une salutation toute particulière portée aux visionnaires parmi eux.

A. Goetz souhaite donner une autonomie totale aux visiteurs, appelés à se faire une opinion propre. Selon lui, le visiteur doit se laisser faire par le musée, il doit être immergé par lui et y musarder, mais à la condition impérieuse d'y être actif, d'y vivre une expérience et des expériences, sur base d'une connaissance de l'histoire de l'art acquise pendant ses études et reçue lors de la fréquentation assidue des musées. En cela, l'auteur rejoint certaines des idées défendues par les cousins Dario et Libero Gamboni dans leur ouvrage intitulé Le Musée comme expérience (Vanves, éd. Hazan, 2020). Pour lui, il n'y a pas lieu de visiter le musée les mains dans les poches. Il est indispensable d'observer, d'apprendre, de recevoir les morceaux d'Histoire que le musée véhicule, même d'y prendre des photos, qui seront diffusées par les réseaux sociaux numériques, « les musées, il faut y aller. [...] regarder les visiteurs, plaisir gourmand, les écouter, c'est comme au théâtre, se demander la raison pour laquelle certaines salles sont vides [...]. Pour éprouver du plaisir au musée, il faut prendre le pouvoir » (p. 14-15).
Dès lors, pas étonnant que l'auteur recommande chaleureusement que « comme l'enseignement, le musée soit “obligatoire et gratuit” » (p. 15), mais il doit « s'accompagner d'une éducation, de l'enseignement de l'histoire des arts dans les collèges et les lycées » (ibid.). Ne faudrait-il pas d'ailleurs « que l'histoire de l'art soit enseignée comme l'histoire, la géographie ou les mathématiques » (p. 45) ? « Aujourd'hui, on vient peut-être encore au musée pour s'instruire ou pour admirer, cela n'est même pas certain, on y vient d'abord pour vivre un choc » (p. 33). Retrouver le passé est essentiel à ses yeux. Le musée n'est-il pas lié à la vie, une bonne initiation à la ville et à la région dans laquelle il se situe ? D'ailleurs, les musées qu'il chérit le plus sont ceux qui relatent l'histoire des lieux, de leur territoire. Tant mieux s'ils sentent un peu le passé, à l'image du musée de Chantilly, contenant la collection du duc d'Aumale, référence constante tout au long du livre, qui le plonge dans bien des souvenirs, individuels comme collectifs. Ainsi considère-t-il le musée comme le meilleur atout pour la ville dans laquelle il se situe (p. 165). Il n'est pas avare non plus de souhaits ou de conseils donnés à ceux qui s'occupent des musées. Notamment, « on aimerait trouver dans tous les musées, d'art européen ou non » (p. 82) : pour chaque objet « son contexte, sa provenance, son peuple, sa fonction et surtout sa signification » (ibid.). Ou encore « ménager des surprises, laisser le visiteur errer, ne pas se lier à un programme trop pédagogique » (p. 138). Et il ajoute à cet égard, « autant de qualités que les architectes qui réinventent les musées [...] oublient trop souvent » (p. 138). Il salue l'inventivité et la vitalité des musées en matière d'expositions, mais aussi de coins-librairies et de publications. Il se dit favorable à la numérisation et aux musées en ligne. Chaque présentation de ville, laquelle n'est autre qu'une présentation de musée(s), regorge de propositions, de pistes et de suggestions. Tout en constatant régulièrement que les musées changent, se développent, se transforment, se rénovent et se modifient, au même titre que leurs collections.

A. Goetz, historien de l'art, directeur de la bibliothèque de Marmottan, auteur d'un Dictionnaire amoureux de la Toscane (Paris, Plon, 2023) et chroniqueur de presse, réalise une œuvre de grande vulgarisation, accessible à tous. Sans prétention d'ordre universitaire, focalisé sur l'Art et sur l'Histoire. L'ouvrage n'est pas à l'abri de lacunes – certes, il ne se veut pas exhaustif, mais pourquoi négliger par exemple à Marseille le musée Cantini (seulement cité) au profit du seul musée de la Vieille Charité, pourquoi ne pas s'attarder ne fut-ce qu'un peu sur le musée de Cassel, en Flandres, ou d'Artois, en Picardie ? –, ni de contradictions : lui qui dit avoir appris à regarder grâce aux ateliers pédagogiques du musée des beaux-arts de Caen (p.17), n'exhorte-t-il pas par ailleurs à n'écouter ni les professeurs, ni les services pédagogiques » (p.15) ? Mais c'est là une autre histoire, celle de l'autonomie et de l'indépendance. Un guidage, oui, mais pas une injonction. A. Goetz préfère nous entraîner hors des chemins balisés, vers ceux qui nous parlent, ont un écho en nous, même et surtout s'ils nous heurtent et nous dérangent.
Un livre à consulter, avant toute exploration des territoires de France pour se donner un peu de bonheur. La découpe de l'ouvrage selon treize grandes régions et au sein de celles-ci ville par ville est un précieux soutien pour toute personne qui envisage un trajet ou un séjour. À lire et à relire, et éventuellement, malgré ses lacunes du côté des informations factuelles, à prendre avec soi lors de ses déplacements. Sur les quelques 3 000 à 10 000 musées ou centres d'art existants en France (selon Marie-Christine Labourdette, Les Musées de France, Paris, Presses universitaires de France, 2021, p. 6), plusieurs centaines sont portraitisés ou évoqués dans ce livre. Et même si le lecteur n'est pas entraîné à aller découvrir merveilles et chefs-d'œuvre sur place, l'ensemble des 120 promenades artistiques (sous-titre bien choisi de l'ouvrage, même s'il s'agit également de promenades historiques) proposées par le livre fournissent une belle occasion de méditer et de rêver aux richesses patrimoniales du pays.

« Les musées font de nous des romanciers, ils contiennent des intrigues à suivre, des récits à dérouler, des tableaux qui s'ouvrent et des statues qui gardent des portes, ils vivent de la vie des autres, du “goût des autres”, nous en avons besoin pour respirer » (p. 339). Il en est de même de cet ouvrage, une invite à savourer le patrimoine, à aimer la vie et à apprécier la beauté et à s'imprégner de l'odeur, parfois surannée, des musées.

Axel Gryspeerdt
Lasco, Université catholique de Louvain
axel.gryspeerdt@uclouvain.be

Cet article est paru dans la revue Questions de communication n°48. Décembre 2025.

Adrien Goetz, Mes musées en liberté


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