Réjouissant. L’opuscule de 140 pages aérées se lit d’une traite, ou goulûment chapitre par chapitre. Chacun de ceux-ci constitue en fait un régal. Le style est alerte. De type « ligne claire », même si à certains moments, on sent que l’auteur s’est contenu ou a été cadenassé par son éditeur. L’une ou l’autre « pique » cependant, notamment à l’encontre de la nouvelle formule du
Magazine littéraire.
Mais, globalement, une défense plutôt sympathique sur l’ensemble des champs de bataille en faveur du livre – hormis les questions terre à terre de nouvelles réglementations en matière de T.V.A. –, depuis le soutien inconditionnel adressé aux libraires, réels agents du patrimoine en tant que gardiens des livres et dispensateurs de conseils éclairés - le chapitre
Aimer les librairies constitue une perle - , jusqu’aux louanges portées aux bibliothèques publiques (et aux bibliothécaires), aux bibliothèques publiques d’origine privée (notamment le mécénat d’Andrew Carnegie) et aux bibliothèques privées.
Le lecteur comprendra que cet opuscule ne fait pas « le tour de la question ». Il apparaît davantage comme un essai d’humeur légère et agréable, qui peut être facilement lu sur une plage ou dans le métro.
C’est sans doute pour cette raison que Paul Otlet, apôtre de la lecture et de la sauvegarde de tout type d’écrits, et personnage baroque ne relevant pas de « la ligne claire », se voit complètement passé sous silence. Comme si, outre les livres et les lettres de la marquise de Sévigné, les autres textes échappaient à la sagacité, en général redoutable, d’Emmanuel Pierrat.
Le titre fut-il imposé par le directeur de la collection, où sont déjà parus
Aimer l’armée, Aimer les musées, Aimer courir, agrémentés chaque fois de l’épithète « une passion à partager » ? La prose d’Emmanuel Pierrat porte en effet davantage sur Aimer les livres que sur un générique
Aimer lire, qui renvoie à bien d’autres supports que le livre, fût-il « informatisé ». Oubli par l’auteur des joies liées aux autres formes de l’écrit et de l’écriture ? Erreur de casting ? Petite tromperie sur la marchandise ? Souhait, relevant du marketing, de s’adresser à un public plus large ?
Sur la digitalisation, E. Pierrat adopte une attitude mesurée, voyant dans les liseuses numériques et les tablettes un complément utile au livre, amenant surtout à relire, à effectuer des retrouvailles avec un titre ou un auteur que l’on a aimé ou que l’on a lu trop vite. En quelque sorte, les nouvelles technologies – foin de toute prévision pessimiste – revigorent la lecture. Voici un avis particulièrement réconfortant, venant d’un amoureux du livre.
On sait que l’auteur de
La Collectionnite (Le Passage, 2011) et des
Nouveaux cabinets de curiosité (Les Beaux Jours, 2011) est un énorme collectionneur devant l’éternel : de livres, certes, notamment ceux jadis rangés "en enfer", mais aussi de portraits d’écrivains, d'armes blanches tribales, d’objets d’art africain (en matière desquels il est devenu une sommité), de patwas, de cages à grillons, et de bien d'autres choses...
Au moment où paraît l'essai dont il est question ici, il prête au Musée de la franc-maçonnerie à Paris quelques-unes de ses très belles et intéressantes pièces relatives aux rites d’initiation et aux sociétés secrètes. Elles constituent elles aussi un régal pour les amateurs, ainsi que pour les lecteurs de Corto Maltese, héros célébré par l’exposition au Grand Orient de France.
A juste titre, dans l’essai, il est donc question de bibliophilie et de bibliomanie dans le sens le plus ouvert possible. Le chapitre « Aimer les livres anciens » est un petit bijou qui réjouira les collectionneurs, même si, conformément au reste du livre, il ne fait qu’épingler certains éléments. Mais Pierrat réussit largement son pari : partager sa passion, - il serait même plus exact de dire ses passions -, augmenter le plaisir de lire, encourager la recherche et la possession des bouquins, et, d’une manière générale, faire passer un bon moment dans la joie des livres, qu’il s’agisse de leur contenu ou bien encore de leur forme, voire simultanément de leur contenu et de leur forme.
Axel GRYSPEERDT
juillet 2012.