Par Agnès Foissac, article publié sur le site
KAZoART
Spéculateur glacé ou accumulateur compulsif, découvreur de talents génial ou mécène providentiel : le collectionneur d'art contemporain ne laisse pas indifférent. Qui est-il vraiment ?
#1. Le collectionneur d'art « Chercheur d'or »
On lui prête des moyens colossaux et la responsabilité de l'inflation galopante d'un art contemporain qui enflamme jusqu'à l'absurde parfois les salles des ventes internationales.
Pour Cyril Mercier*, auteur d'une thèse sur les collectionneurs d'art contemporain, certains fonctionnent en effet sur
un mode spéculatif :
« Je peux revendre des œuvres, soit par spéculation, soit par désintérêt pour l'œuvre. [...]. Il peut, en effet, y avoir une démarche spéculative. Il peut m'arriver d'acheter à New York et de revendre à Paris » ; « L'art contemporain répond à un contexte social. Il ne faut donc pas voir l'art spéculatif comme péjoratif. Il reflète notre société actuelle. Il est donc très important ».
Cyril Mercier conclut cependant que l'aspect spéculatif découle d'une loi de marché incontournable à laquelle sont soumis les collectionneurs, mais que le gain financier
« ne semble pas jouer un rôle exclusif dans leur engagement vis-à-vis de l'art contemporain ».
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Cornelia Komili, Chantier n°12 |
#2. Le chasseur
Ce type de collectionneur d'art passe son temps à « traquer » le
beau et l'insolite, il
« cherche la perfection par l'harmonie et la beauté. Il l'enchante et correspond à ses multiples états d'âme ». (Maurice Rheims
La vie étrange des objets, Paris, Librairie Plon, 1959).
Mais surtout d'après Cyril Mercier
« les premières raisons pour expliquer le besoin de collection s'inscrivent principalement dans le sentiment de plaisir : plaisir d'acheter une première œuvre ou plaisir de posséder, ou encore plaisir simplement de contempler cette œuvre». Pour Charlotte et Alexandre de Coupigny, jeunes collectionneurs parisiens trentenaires,
« les collections les plus belles sont, à nos yeux, les plus hétéroclites. »
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Félix Hemme, Etude de Nu n°2 |
#3. L'aventurier
Pour d'autres encore le fait de collectionner relève de l'aventure :
« Pour être dans l'art contemporain, il faut un esprit d'aventure», « l'art est le dernier secteur d'aventure humaine et intellectuelle » (collectionneurs anonymes interrogés par Cyril Mercier).
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Frédéric Belaubre, Métafigure 4 |
#4. L'amoureux
Autre archétype de collectionneur d'art : les véritables
amoureux, pour lesquels
passion de l'art et
valeurs humaines s'interpénètrent.
« Le but de l'art contemporain, c'est la découverte de ce qui se passe et aussi l'ouverture de l'œil, la tolérance. On est obligé de regarder dans tous les sens pour être bousculé ». « L'art est une transgression. Au bout du chemin, on devient un homme libre. » (Collectionneurs anonymes interrogés par Cyril Mercier).
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Olivia Maurey-Barisson, Série Brésil 3 |
#5. Le spirituel
L'acquisition d'œuvres d'art se rapproche pour certains de
la quête spirituelle et interroge le devenir civilisationnel :
« J'ai autant besoin de l'art contemporain que de manger ou boire. » ; « Le regard de l'art contemporain permet de développer sa capacité à regarder le monde. Il amène à chercher le sens profond de chaque chose. A chaque époque et à chaque contexte, l'art a toujours été un précurseur de la culture et de la civilisation » (collectionneurs anonymes interrogés par Cyril Mercier).
Certains ont conquis dans leur collection leur
individualité et leur
indépendance « l'art est la quête d'un Graal. J'ai dû choisir un métier pour plaire à mon père. L'art m'a permis de nourrir ma trajectoire, de disposer d'une soupape de sécurité. Enfin quelque chose qui n'appartient qu'à moi. » (Collectionneurs anonymes interrogés par Cyril Mercier).
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Jacky Chriqui, Amor à mort |
#6. Le discret
Quels que soient son profil ou sa spécificité, il semble globalement que le cercle des collectionneurs d'art contemporain demeure
hermétiquement fermé.
« En effet, le milieu de l'art moderne français est un petit milieu dont les acteurs se connaissent très bien entre eux, qu'ils soient collectionneurs, marchands, experts ou conservateurs. Tous construisent leurs relations sur des bases similaires : le culte du secret, la relation courtoise et de cooptation, le fonctionnement en réseau. », souligne Cyril Mercier.
Le collectionneur reste
discret et fidèle à la
tradition française ne souhaite pas afficher ses avoirs :
« En France, on ne dit pas son nom, on cache ses trésors. Sur une centaine de possesseurs d'œuvres assez remarquables pour être régulièrement demandées par les musées, trois, peut-être quatre, acceptent que soit dévoilée leur identité ». (Mona Thomas
Un art du secret : collectionneurs d'art contemporain en France).
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Elisabeth Bouvret, Bactérie |
L'amateur, étymologiquement « celui qui aime », n'est peut-être pas (encore) un collectionneur mais il contribue lui aussi à la pérennité de l'Art. Ainsi comme le disait Marcel Duchamp
« Le regardeur ne « fait » peut-être pas l'art, mais c'est lui qui le reconnaît ».
[...]
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Cyril Mercier : Auteur d'une thèse de doctorat soutenue en 2012 :
« Les collectionneurs d'art contemporain : analyse sociologique d'un groupe social et de son influence sur le monde de l'art »