L'objectif du numéro est de s'interroger sur les rapports existant entre les collections d'entreprises et d'organisations au sens large (en excluant les organisations spécifiquement dédiées à l'activité muséale, les musées donc) et la communication interne et externe de ces mêmes organisations. Notamment, comment les organisations gèrent-elles leurs collections et leurs musées ? Quelles politiques de communication mènent-elles en la matière ? Comment évitent-elles la dispersion de collections existantes ? Ces dernières ont-elles un avenir ? Quel rôle les nouvelles technologies jouent-elles à cet égard ? Que font les entreprises et les organisations en matière de patrimoine culturel et historique et comment valorisent-elles celui-ci ?
De nombreuses entreprises et organisations ont en effet pris l'initiative de se constituer des collections patrimoniales d'art et fréquemment d'art contemporain, ou de mettre sur pied des collections qui évoquent l'histoire de leurs activités en les inscrivant dans un contexte industriel ou technologique plus vaste. Des collections qui évoquent l'histoire de la distribution, du transport ferroviaire, des technologies de l'information, de l'aviation, de l'armée... ont vu le jour et de nouveaux projets sont en cours d'élaboration. On assiste aussi, parallèlement à ces initiatives, à l'invitation d'artistes en résidence qui se confrontent au personnel des entreprises et organisations la plupart du temps dans un souci de valorisation mutuelle.
Ces initiatives variées pourraient sans doute être interprétées comme une manifestation de la rencontre entre différents mondes ou « cités » (marchande, industrielle, civique...), selon la terminologie de Boltanski et Thévenot 1991. Cette rencontre entre sphère industrielle ou organismes publics, d'un côté, et monde de l'art et des collections, de l'autre, certainement pas inédite dans l'histoire (si on songe au phénomène multiforme du mécénat, par exemple), pourrait aussi être lue comme une forme spécifique de recherche de légitimation, et même de « justification » du pouvoir économique ou politique. La collection et le musée d'entreprise sont un langage qui parle de l'organisation, en fait la « louange » et invite les publics à l'investir de nouvelles valeurs.
Le numéro s'inscrit dans le prolongement d'un colloque tenu en mars 2016, sur les relations entre collections et communication, dans lequel des chercheurs universitaires, des spécialistes de l'action artistique et culturelle, des responsables de collections et de musées d'entreprises et des professionnels de la communication ont confronté leurs points de vue, donné des aperçus historiques et économiques et précisé le rôle communicationnel et culturel des collections d'entreprises.
Les musées d'entreprises, entre fragilité et permanence
La nature du musée d'entreprise apparaît relativement hétéroclite, comme en témoigne l'éventail de choix opérés par les entreprises et leurs combinaisons multiples. Du "corner muséal" aménagé dans la boutique d'usine au complexe de plusieurs milliers de mètres carrés consacrés à l'exposition culturelle, du projet familial d'une PME à l'institution gérée par des services dédiés, de l'agencement réalisé en interne à la mise en espace confiée à des personnalités du monde de l'exposition, ... les composants de ce genre semblent sans unité conceptuelle autre que celle de leur origine commerciale privée. Les politiques d'accessibilité des publics sont variables, depuis l'ouverture quasi-permanente jusqu'aux restrictions les plus sélectives.
Certaines collections ont pu trouver des solutions en prolongeant le projet jusqu'à des espaces pluriels d'échange dans la ville. D'autres ont pu être réalisées en prenant en compte les enjeux que représente la mise en scène du passé, présent et futur liés à un développement industriel majeur. Une collection d'entreprise, même muséale, reste un patrimoine menacé.
Collections d'entreprise : professionnalisation et responsabilité sociétale
La plupart des collections en question sont nées de la volonté de certains chefs d'entreprises emblématiques qui ont ensuite confié leur gestion à des équipes de professionnels.
Depuis une vingtaine d'année, on observe un phénomène nouveau : la pression de la responsabilité sociétale qui incite les organisations à s'inscrire dans une logique citoyenne. Héritière d'un mouvement plus anciens, qui remonte dans ses origines au mécénat des patrons « paternalistes » et à la philanthropie notamment anglo-saxonne, la responsabilité sociale ou sociétale d'entreprise se déploie aussi dans le domaine culturel. On constate de ce fait une volonté émergente de mettre ces collections à la portée de publics plus variés et plus nombreux. Plusieurs initiatives sont allées dans ce sens comme par exemple des visites de collections organisées pour des personnes handicapées, le prêt de collections à des musées, des journées portes ouvertes à l'attention du grand public, etc.
Les sociétés sont à la tête d'un patrimoine considérable, qui par son ampleur peut parfois rivaliser avec les musées publics. De plus en plus souvent, leurs collections ne sont plus visibles uniquement par les amateurs d'art mais vont à la rencontre de nouveaux publics dans cette logique de responsabilité citoyenne.
Communication et collections, une relation en évolution
Parmi les organisations qui ont entrepris ces démarches et se sont constitué des collections propres, on distingue des cas de figure relatifs à la manière dont s'articule la collection avec la stratégie de communication. Ces cas peuvent devenir objet d'analyses basées sur différentes cadres théoriques et qui mobilisent différentes méthodologies. L'objectif est, chaque fois, d'identifier des modèles de mise en visibilité et de mise en scène d'un patrimoine, mais aussi d'une organisation. Des études de cas sont donc possibles, mais aussi des analyses comparatives et des tentatives de généralisation et d'identification de tendances plus globales.
On peut distinguer ainsi :
- Des organisations qui utilisent leur collection pour créer des opportunités de relations publiques ou pour favoriser des relations commerciales avec leurs clients ou leurs prospects. On posera ici la question de la responsabilité culturelle et sociale des mises en évidence des collections (ex. accès limité ou largement ouvert), les pratiques de visibilité ou de discrétion à leur égard, les stratégies et les perceptions des différents acteurs impliqués ;
- Des organisations qui mettent en œuvre, à partir de leur collection, des stratégies de communication interne. Elles vont parfois jusqu'à inviter des artistes à créer des œuvres originales inspirées par leur domaine d'activités ;
- Des organisations qui, adoptant une démarche de responsabilité sociétale, considèrent comme leur devoir d'entreprise « citoyenne », de contribuer à la sauvegarde et la valorisation du patrimoine artistique et culturel d'une communauté ;
- Des organisations qui mettent en œuvre des stratégies d'image ou de notoriété. La collection d'entreprise devient en quelque sorte un élément identitaire de l'organisation ;
- Des organisations, qui, sur base de collections d'art contemporain, créent pour leur personnel un cadre de travail marqué par la créativité, l'inventivité et l'innovation, et provoquent des rencontres entre les membres de leur personnel et les artistes. Cette posture met particulièrement en évidence le rapport entre collections d'entreprises et culture d'entreprise ;
- Des organisations pour lesquelles la collection représente la mémoire scénographiée de leur activité. Cette posture met particulièrement en évidence les collections d'entreprises comme élément de mémoire de l'organisation.
Références
Appleyard (Charlotte) and Slazmann (James), 2012,
Corporate Art Collection, A Handbook to Corporate Buying, United Kingdom Lund Humphries in Association with Sotheby's Institute of Art.
Boltanski (Luc) et Thévenot (Laurent), 1991,
De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard.
Cousserand (Isabelle), 2009, « Les musées d'entreprise, un genre composite », Revue
Communication et Organisation, n°35, p. 192-213.
Drouguet (Noémie), 2015, Le musée de société.
De l'exposition de folklore aux enjeux contemporains, Paris. Armand Colin.
Frèches (José), 2005,
Art et compagnie, l'art est indispensable à l'entreprise, Paris, Dunod
Jacobson (Marjory), 1993,
Art and business; new strategy for corporate collecting, London, Thames and Hudson.
Lindenberg (Morgane) and Oosterlinck (Kim), 2011, "Art collections as a strategy tool: a typology based on the Belgian financial sector",
International Journal of Arts Management, 13 (3), p. 4-19.
Lisbonne (Karine) et Zurcher (Bernard), 2007),
L'art avec pertes ou profits ? Des compétences de l'art dans l'entreprise, Paris, Flammarion.
Martorella (Rosane), 1990,
Corporate Art, New Brunswick, Rutgers University Press.
Moureau (Nathalie), 2016,
Collections et entreprises. Liaisons interdites ou amour de raison ? Axa-Art, Paris.
Dossier coordonné par Andrea Catellani (UCL) et Axel Gryspeerdt (Collectiana et UCL).
Actes du colloque
|
AXA Art © 2018 AXA |