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Axel Gryspeerdt : La Collection d'art contemporain de la Flad : que nous apprend-elle ?
Médiation et médiatisation de la collection constituée par la Fondation luso-américaine pour le développement

Cet article a pour objet de montrer comment une collection d'art acquise par une institution sociale, économique et culturelle portugaise, à la direction de laquelle participa Mário Mesquita, permet non seulement de mieux comprendre l'objet, la nature et la responsabilité sociale de cette fondation, mais aussi de mieux connaître la créativité exercée par les artistes contemporains portugais, ainsi que le rôle joué par les collections constituées par des organisations dont elles ne sont pas la raison d'être principale.

Originalité des collections d'entreprises

Une des principales fonctions des collections d'art gérées par des entreprises consiste à plonger dans une ambiance spécifique les personnes qui gravitent autour de celles-ci. De permettre à ces personnes de s'approprier les œuvres exposées, de dialoguer avec elles et à propos d'elles, voire d'entrer parfois en polémique ou en conflit à leur égard.

Ces personnes mises en présence des œuvres sont potentiellement nombreuses : dirigeants de l'entreprise, administrateurs, membres du personnel, visiteurs, invités et clients, tous sont immergés et impliqués à des degrés divers dans les collections, les gestionnaires imaginant les concerner par les œuvres acquises, exposées ou disposées dans les halls et les corridors de l'entreprise, les salles de réunions et les bureaux. Il s'agit en quelque sorte de publics dédiés ou captifs dont il est acquis qu'ils les côtoieront, sans qu'il soit nécessaire d'entreprendre des démarches spécifiques pour les amener à les voir. Les collections d'entreprises se distinguent ainsi des collections des musées publics et ceci même quand les entreprises permettent à des publics d'amateurs d'art d'avoir accès aux œuvres qu'elles ont acquises.

Les organisations ayant constitué une collection d'art contemporain n'échappent pas à cette « règle » de l'engagement et de l'immersion de publics diversifiés parmi les œuvres. Les murs de ces organisations sont parés par les œuvres. Et ces dernières contribuent largement à l'embellissement des lieux de travail.

A quelques exceptions près, les lieux de travail en question sont réservés « aux nobles tâches » administratives et commerciales. Car dans la majorité des cas, il s'agit plutôt de bureaux et de lieux de réception plutôt que d'ateliers ou de lieux de production. D'une certaine manière, on peut prétendre que ces collections sont de type résidentiel, figurant dans les résidences dites nobles des entreprises, par opposition aux ateliers de fabrication ou d'entreposage.

Parmi d'autres, deux importantes collections « corporate » d'art contemporain belges correspondent parfaitement à cette définition.

Collections « corporate » d'art contemporain

Abritée dans une superbe architecture sise au milieu d'un vaste parc arboré, constituant un écrin de verdure, la somptueuse collection d'art contemporaine de Lhoist, entreprise du secteur de la chaux, dolomite et minéraux, occupe les halls d'accueil, les salles de travail, y compris l'exceptionnelle salle du conseil d'administration, les couloirs et les bureaux des ingénieurs et des autres membres du personnel. Elle est constituée depuis 1989 de joyaux de l'art contemporain, notamment des photos de Rodney Graham, Nan Godlin, Andreas Gursky, Thomas Struth, …, des sculptures de Tony Cragg, Anish Kapoor, Louise Bourgeois, des vidéos, des peintures, des dessins,… Outre les œuvres se trouvant en Belgique, surtout au siège principal, des œuvres sont déposées dans les bâtiments du groupe à l'étranger. La sélection se veut internationale à l'image des quelques 6.400 membres du personnel. L'accès au grand public est fort limité, la firme privilégiant les membres du personnel et leurs familles, et les partenaires d'affaires.

De même, l'impressionnante collection d'art contemporain du principal opérateur téléphonique belge Proximus est placée au contact des administrateurs, des membres de la direction et des membres du personnel dans le principal bâtiment de l'entreprise, un très vaste immeuble moderne et fort lumineux, doté d'une tour, et situé quant à lui près du le centre de Bruxelles, à Bruxelles-Nord. Des visites de groupes ont parfois lieu, mais la volonté de la direction est de permettre aux membres du personnel de se familiariser avec la création d'art contemporaine, dans un objectif d'ouverture et d'écoute du monde actuel.

Ainsi, dans les deux entreprises, des œuvres de qualité, sélectionnées parmi les meilleures productions d'artistes contemporains confirmés sont intégrées.

Ces deux très riches collections sont gérées par des structures juridiquement indépendantes des entreprises et animées par des curateurs experts en histoire de l'art. Des commissions d'acquisitions sont chargées de la sélection des œuvres d'art, une haute professionnalisation étant observée.

Les deux collections en question permettent à leurs entreprises d'être reconnues en tant qu'agents dans le domaine de l'art et de la culture.

En se limitant ici à ces deux entreprises, on peut dire que l'une comme l'autre peuvent être caractérisées comme des organisations à haute esthétisation. Le concept d'esthétique organisationnelle s'adapte en effet fort bien à leurs cas, car la volonté multi-esthétique est largement présente dans l'intention de leurs dirigeants, qui ont soigné l'architecture de leurs bâtiments principaux en rendant ceux-ci non seulement appropriables, mais aussi conformes aux critères d'une esthétique moderniste. Non seulement les œuvres acquises relèvent de l'art contemporain, mais l'architecture qui les abrite relève également de l'art contemporain. En outre, de grandes ouvertures vers l'extérieur permettent aux personnes qui sont dans les bâtiments de bénéficier de vues exceptionnelles sur une nature arborée (Lhoist) ou de superbes plongées sur la capitale, vue de haut depuis la tour Proximus.

Les personnes en charge de ces deux collections sont membres de l'IACCCA, International association of corporate collections of contemporary art. Celle-ci leur permet de se réunir et d'échanger leurs vues sur la gestion et sur le devenir des collections. En cela, elles rejoignent d'autres entreprises, surtout localisées en occident, parmi lesquelles figurent cinq entreprises ou institutions belges (dont la Banque nationale et deux banques, ING et Belfius), mais une seule entreprise portugaise, pour sa collection de photographies d'art contemporain, la Novo Banco, qui a rassemblé près de 1000 œuvres d'artistes de 38 nationalités. Figure aussi au nombre des membres portugais une association d'avocats, la fondation PLMJ.

Dès lors, à l'exception de l'appartenance à l'IACCCA, les considérations ci-dessus s'appliquent quasi-totalement aux collections institutionnelles d'art contemporain de la Flad, apparaissant comme une organisation à haute valeur ajoutée esthétique, cherchant à embellir « ses lieux de travail et de réception » en ayant acquis des œuvres d'art de grande qualité, même si la volonté des responsables s'est voulue moins internationale que dans le cas des deux collections belges citées. Fidèle à son objet social, la Flad a en effet privilégié les artistes nationaux portugais.

Actions culturelles de la Fondation luso-américaine de développement

Le nom complet de la Flad renseigne clairement sur son objet social et culturel. Il s'agit en effet de la Fondation luso-américaine pour le développement, dont le but est de promouvoir le développement du Portugal et plus particulièrement des Açores par la coopération avec les Etats-Unis. Créée en 1985 par l'Etat portugais, A Fundaçâo luso-americana para o desenvolvimento est une fondation privée et financièrement autonome, responsable de plusieurs projets dans les domaines scientifiques, techniques, culturels et artistiques, mais aussi économiques et commerciaux dans les relations transatlantiques.

Depuis sa création, la Flad, est hébergée dans un bâtiment situé dans un des tout beaux quartiers de Lisbonne, peuplé de palais et de maisons de qualité, et bénéficie d'un emplacement exceptionnel ayant vue sur le Tage. Il s'agit d'un grand édifice somptueux du XVIIIème siècle, comparable à un palais, dont le premier propriétaire fut Joâo Fernandes de Oliveira, riche commerçant du Brésil dans le domaine de la production et du commerce des diamants. Par la suite de nombreuses personnes habitèrent cet immeuble ou des parties de celui-ci.

Cette demeure majestueuse a été acquise et aménagée en 1986 par la Flad, qui a procédé à plusieurs travaux de rénovation tout en gardant son équilibre architectural harmonieux.

La Flad a d'ailleurs financé la publication d'un fort bel ouvrage, illustré de nombreuses photographies, sur l'histoire et l'architecture d'une rue située dans le quartier de Lapa dans laquelle le bâtiment du 21 de la Rue do Sacramento est l'objet de toutes les attentions. Il s'agit bien entendu du siège de la Flad, Cette rue, la Rua do Sacramento à Lapa est généralement considérée comme une des plus belles rues de Lisbonne située à proximité de la Basilique d'Estrela. Plusieurs ambassades y ont leur siège. Ainsi en est-il de celles du Danemark, de la Suisse, de la Bulgarie, de la Lettonie, et de la Hollande. De même que le siège de la Délégation américaine, voisin de la Flad. Quelques superbes palais s'y trouvent, notamment le Palecete dos Viscondes de Sacavem, dont la façade est revêtue d'azulejos et le Palacete do Conde de Agrolongo. Modestement intitulé Uma Rua na Lapa, le livre parcourt toute l'histoire de la création du quartier, depuis son origine après le tremblement de terre de Lisbonne jusqu'à la situation actuelle.

Non seulement l'architecture de « la maison », la disposition dans un quartier huppé, les jardins soignés, la vue dégagée vers le Tage, mais aussi l'aménagement intérieur contribuent à l'harmonie des lieux et confèrent un certain enchantement à ceux qui ont le privilège d'y être conviés. S'y trouve réuni un habile mélange de discrétion et de beauté.

On l'aura compris, les lieux ne sont pas ouverts au tout venant. Ils sont d'abord destinés aux personnes concernées par le projet de développement de la Flad, qu'elles y contribuent ou y soient associées, notamment les milieux diplomatiques, politiques, culturels et artistiques. En cas d'événements, conférences ou remises de prix, les portes s'ouvrent davantage, mais surtout pour un public choisi.

Toutefois, avec l'extension du désir d'art y compris chez le grand public, les œuvres de la collection vont être amenées à s'ouvrir au monde artistique plus général et même à un grand ensemble d'amateurs d'art (Gilles Lipovetsky, 2017).

Un administrateur de la Flad, Bernadino Gomes (1), qui reçut l'appui du Président du conseil d'administration Rui Machete, fut à l'origine de la collection.
Débutée dès 1986, la collection fut gérée jusqu'en 2005 par Manuel Castro Caldas, d'abord artiste, puis professeur, ayant étudié la peinture, la sociologie et l'histoire de l'art, successivement à Lisbonne et à New-York. Il fut notamment responsable des acquisitions des œuvres de la collection, accompagné des conseils successifs du sculpteur Rui Sanches et du peintre Manuel Costa Cabral, avant de devenir directeur de la foire d'art contemporain Ar.Co.Lisboa. Joâo Silvério, diplômé en lettres et histoire de l'art fut commissaire de plusieurs expositions temporaires d'œuvres d'art de la Flad et remplit la fonction de directeur de la collection de la fondation.
La partie la plus importante de la collection est constituée de dessins d'artistes portugais, mais elle est également composée de photographies, de peintures, de sculptures, de vidéos et d'installations. Au total près de 1.000 œuvres sont réunies, témoignant chacune de la créativité des artistes portugais.

Une imposante collection de dessins d'artistes portugais contemporains


En ce qui concerne la partie des dessins, qui est la plus originale et qui constitue à elle seule plus de deux tiers de l'ensemble, on constate que le choix a principalement porté sur des artistes portugais avec la volonté affirmée d'acquérir plusieurs œuvres d'un même auteur, quitte à ne pas viser le plus grand nombre d'artistes, constituant malgré tout un ensemble des plus représentatifs d'une certaine production artistique portugaise. Ce qui frappe l'observateur des œuvres c'est la nette prédominance, sinon l'exclusivité, d'œuvres de type formel ou conceptuel, minimaliste ou néo-minimaliste, dont se dégage a priori peu d'émotion et qui requièrent peu d'empathie de la part des personnes appelées à les contempler. En ce sens, la collection des dessins s'inscrit nettement dans des courants que semblent privilégier les amateurs d'art portugais. La plupart des artistes de la collection ont en effet acquis une belle renommée dans le pays, où ils sont régulièrement exposés lors d'expositions temporaires dans les musées les plus prestigieux, notamment à la Fondation Gulbenkian. Peut-être même le grand succès observé lors d'expositions d'artistes étrangers, privilégiant le dessin, la gravure et les œuvres géométriques, mathématiques et formelles est-il indicatif du même engouement ? Avec un peu d'audace par rapport à la collection de la Flad, on pourrait peut-être citer à cet égard la rétrospective des œuvres de l'artiste hollandais Maurits Cornelis Escher à Belém en 2018-2019, exposition qui a connu une énorme affluence de visiteurs.

Il est à noter cependant que Manuel Castro Caldas ne s'intéresse pas en priorité aux perceptions des amateurs de l'art. Il accorde sa nette préférence à la production des artistes, en se méfiant de la réception, qui lui paraît moins intéressante à étudier. Sa focalisation sur les dessins s'explique d'ailleurs par la proximité des artistes avec le geste créateur dans cette discipline.

Plusieurs motifs sont à l'origine du choix des dessins comme support principal de la collection : il s'agit tout à la fois pour la Flad de contribuer à la sauvegarde du patrimoine artistique du pays, de témoigner de l'importance du dessin dans le domaine de l'art auprès de publics le percevant comme une discipline secondaire et de se constituer une collection dans le cadre d'un budget limité par les moyens matériels et financiers. Le choix opéré s'est avéré d'autant plus judicieux que, depuis les années du démarrage de la collection, le dessin a acquis ses lettres de noblesse et se sont développés les foires et salons d'art spécialisés en dessin.

Cette collection constitue une belle vitrine de l'art contemporain au Portugal et l'abondance des œuvres réunies fournit une bonne base de donnée pour étudier et comprendre celui-ci.

Elle aide ainsi la fondation tout particulièrement dans sa tâche de faire apprécier les richesses du Portugal. Et rejoint un des buts qu'elle s'est assignée en matière d'art, à savoir « dynamiser le marché national de l'art et motiver ses agents (artistes, galeristes, collectionneurs, agents publics) », tout en « protégeant la création artistique portugaise contemporaine ». La discipline dessin satisfait aussi le désir d'être proche des aspects expérimentaux et innovateurs des artistes émergeants. Le dessin met en évidence ce que Manuel Castro Caldas appelle le processus créatif dans son automatisme immédiat et valorise les croisements existants avec la poésie expérimentale, très présente au Portugal elle-aussi. A l'époque de la création de la collection, très peu de lieux permettaient de faire connaître les artistes nationaux des années 1960-70-80. La Flad remplira ainsi un rôle précurseur en montrant la richesse créative des artistes émergeants ou parfois déjà reconnus.

Le dessin s'accommode aussi de la nécessité de déplacer la collection pour la rendre visible, étant donné qu'il est impossible de permettre l'accès à un grand nombre de visiteurs dans le bâtiment de la Flad.

Parmi la soixante d'artistes confirmés dont les dessins sont possédés par la Flad figurent des personnalités marquantes et inscrites dans l'histoire de l'art contemporain portugais tels Pedro Cabrita Reis, Rui Chafes, Ana Jotta, Ana Hatherly, Julio Potomar, Joâo Onofre. Œuvres sur papier visant pour la plupart la précision du trait, la légèreté des lignes, la recherche des traits esquissés. Permettant de donner une homogénéité à l'ensemble, malgré la disparité des styles et des personnalités. Certains relèveront probablement le fait qu'il s'agit de pièces d'un art subtil, nécessitant des efforts de médiation et de vulgarisation. Leurs interprétations peuvent paraître ardues et leurs significations éventuelles ne sont pas discernables d'emblée. Une touche de « less is more » semble les recouvrir tel un voile.

Le terme « collection » est en effet tout-à-fait approprié pour parler des dessins réunis à partir du 21 de la rua do Sacramento ; non seulement la technique utilisée présente des similitudes, mais en plus le « caractère intellectualisant » et « non romantique » des œuvres permet de les considérer comme faisant partie d'un ensemble non disparate et ouvert. D'autres œuvres similaires pourraient s'y ajouter et la quête des objets obéit aux mêmes critères explicites ou implicites. Les œuvres réunies s'enrichissent l'une l'autre et l'une de l'autre. La totalité des dessins se donne à voir comme une collection, chacun d'entre eux contribuant à l'ensemble en le complétant En quelque sorte, les règles de « la symétrie » observables dans l'architecture des locaux s'appliquent aux objets, qui, ensemble, paraissent constituer « un tout ».

La collection de la Flad répond ainsi pleinement aux termes et aux critères de ce que Luc Boltanski et Arnaud Esquerre nomment « la forme collection » dans leur théorie de la marchandise exposée dans leur analyse de l'enrichissement, toute collection se distinguant d'une pure accumulation, ainsi que des objets de consommation. Les objets collectionnés diffèrent les uns des autres, mais un principe de ressemblance les unit. En outre, les « choses (possédées devant avoir) une unicité matérielle durable rendant ainsi aisément possible leur appropriation par une personne individuelle ou collective, leur détermination en tant qu'unités séparées, leur appareillement, leur stockage, leur transport, et leur échange ». (Boltanski, 2017, p. 252).

La riche production esthétique portugaise est ainsi mise en évidence, permettant à la collection de s'inscrire dans un des buts majeurs de la fondation luso-américaine de développement qui consiste à témoigner de l'importance de la réalité culturelle et artistique portugaise à l'intérieur des frontières du pays lui-même, tout en comme en dehors de celui-ci et plus particulièrement aux Etats-Unis.

Accessibilité publique de la collection

Par le biais de partenariats institutionnels, la collection, notamment les dessins sont exposés dans des lieux d'exposition prestigieux, comme à Porto à la Fondation Serralves, à Lisbonne à la Fondation Arpad Szenes-Vieira da Silva et à Culturgest, dans la région du Douro, au Musée du Val de Côa et au Musée Nogueira da Silva de l'Université du Minho, aux musées d'Evora et de Caldas da Rainha, à Chaves au musée Nadir Afonso, au centre de culture contemporaine de Castelo Branco, ainsi que dans des musées aux Açores. Notamment huit expositions ont été organisées aux Açores sous la responsabilité de Mário Mesquita, avec l'appui du Gouvernement régional des Açores et avec l'aide du curateur Joäo Silvestre. Il convient de noter aussi les collaborations existant avec la prestigieuse Fondation Gulbenkian, et hors du Portugal, les collaborations aux USA, notamment avec le Drawing Center de New-York et avec le musée des beaux arts de Richmond en Virginie. Collaborations aussi en Espagne avec la Generalitat de Catalunya.

En outre, aux Açores, un protocole a été signé en 2011 avec le gouvernement autonome dans le but de promouvoir des expositions itinérantes dans les musées de l'archipel. Un protocole avait aussi été conclu en 1999 avec la Fondation Serralves permettant le dépôt de la collection (surtout de dessins) au musée d'art contemporain de Serralves.

Plusieurs grandes institutions artistiques américaines furent sollicités pour l'invitation de commissaires d'expositions, notamment le MoMa, le musée Guggenheim de New York, le musée d'art contemporain de Chicago, mais aussi le Hirshorn Museum and Sculpture Garden de Washington D.C., le musée d'art Carnegie à Pittsburg,

Ainsi sensiblement, les œuvres de la collection sont-elles amenées à quitter, du moins provisoirement, l'écrin qui les contient pour une divulgation beaucoup plus grande, par le biais de pratiques de médiation et de médiatisation.

Cette ouverture correspond ainsi à la tendance générale des collections d'entreprises. D'abord réservées à quelques milieux privilégiés, elles évoluent vers un accès beaucoup plus large, par les divers moyens d'ouverture que constituent les prêts, les partenariats avec d'autres institutions, la publication de livres et de catalogues, la publication d'articles de presse.

Elles concourent aussi à l'accroissement de la notoriété de leurs institutions et à la propagation de leur objet social et culturel. Ce dernier est de plus en plus publiquement reconnu même pour les entreprises commerciales, qui peuvent plus que jamais par ce biais faire état de leur responsabilité sociale et culturelle. Pour la Flad, il s'agit d'une opportunité supplémentaire pour faire connaître sa raison sociale et faire état de ses interventions publiques. Elle va dès lors aussi illustrer ses rapports et ses revues par des dessins de sa collection et co-éditer des livres-catalogues à l'occasion des expositions.

Par ces derniers, des informations et connaissances complémentaires sont livrées sur les artistes de la collection. Ainsi, l'ouvrage intitulé Entre Linhas/ Between the Lines, comporte-t-il un bref curriculum des divers auteurs des œuvres, ainsi que la liste des expositions individuelles de chacun d'eux.

Les recherches effectuées par la Flad sur ses objets de collection confirment ainsi « la règle » selon laquelle les collections constituent un prodigieux instrument d'éducation permanente, pour ceux qui les collectionnent, tout comme pour ceux qui sont amenés à s'y initier.

L'évolution générale des entreprises ayant constitué des collections d'art, vers un rôle d'opérateur culturel et artistique plus large, notamment par l'acceptation d'artistes en résidence, l'attribution de bourses d'études artistiques, la remise publique de prix d'art, la constitution de centres culturels paraît aussi en train de s'effectuer dans le cas de la Flad, qui mise actuellement sur les bourses d'enseignement pour artistes, notamment des bourses d'étudiants portugais aux Etats-Unis.

Une collection innervante, aux multiples facettes

Ainsi, la Flad s'inscrit-elle à sa mesure dans la vaste lignée des organisations institutionnelles et entrepreneuriales qui mettent en évidence comme un fleuron leur rôle d'opérateur culturel.

Au Portugal, elle bénéficie d'un écosystème constitué par un grand nombre d'artistes, de galeries, d'amateurs d'art et de collectionneurs, dont certains ont ouvert des musées privés ou possèdent d'importantes fondations (que l'on pense par exemple à Calouste Gulbenkian, aux frères de Lacerda, à Manuel et Miguel Leal Rios ou encore à José Berardo). Les musées publics et les lieux d'exposition y sont également nombreux et bien organisés.

De plus, sa collection de la Flad rencontre les canons d'une « collection dite responsable », à savoir une collection
- qui se montre et est accessible, selon certaines conditions et dans certaines circonstances ;
- qui se veut soumise à des objectifs d'éducation permanente
- qui se focalise sur un domaine, qu'elle permet d'étudier et d'analyser
- qui s'insère dans un environnement spécifique qu'elle contribue à éclairer

D'une certaine manière, la collection institutionnelle de la Flad, comme toute collection d'entreprise, confère une ossature toute particulière à l'organisation, entrant d'emblée dans la culture organisationnelle qu'elle aide à structurer et à innerver. Comme l'ont montrée des études menées en Hollande à l'initiative de l'association hollandaise des collections d'entreprises, proche de l'IACCCA, l'appréciation des publics envers la collection d'une entreprise est hautement corrélée au degré d'attachement accordé à l'entreprise. Une appréciation positive se voit considérée comme un bon prédicteur d'un attachement élevé (2). La fidélité à l'entreprise s'accroît dès lors que les œuvres d'art sont appréciées et estimées. En ce sens, la collection agirait comme un ciment entre les différents publics de l'organisation et cette dernière.

Peut-on dire pour autant qu'une désaffection face à la collection entraîne une désaffection de l'entreprise ?

Certes non. Mais la prise en compte des résultats des enquêtes sociologiques menées en Hollande indique combien nécessaires ou même indispensables sont les actions de médiation entreprises vers les œuvres. Sans ces actions, non seulement leur signification propre peut échapper, mais l'empathie envers l'organisation elle aussi peut manquer. Si l'indépendance des collections à l'égard des organisations dans lesquelles elles naissent et se développent est en général assurée – par des formes juridiques indépendantes, par des commissions d'acquisition spécifiques, par des comités d'experts autonomes – ce n'est pas pour autant que les collections sont perçues comme des éléments totalement isolés des organisations concernées.

Ainsi, les dirigeants sont-ils de plus en plus conscients de l'importance stratégique des collections et de la nécessité de mener à leur propos des politiques de communications adéquates. Dès lors, il ne s'agit pas de considérer les collections seulement comme des éléments de « marketing » pour l'organisation, même si certains ensembles d'œuvres ou d'objets contribuent aux efforts déployés en ce sens, mais d'en mesurer la totalité des enjeux et d'en évaluer les risques qui peuvent y être liés. La collection devient un élément inséparable de la fonction sociale attribuée ou reconnue à l'organisation (3).

Autant la collection ne peut-elle être gérée sans des compétences avérées par des personnes qualifiées en art, autant ne peut-elle être inscrite au sein d'une organisation ou dans sa proximité sans un sens de la responsabilité par les dirigeants de cette dernière et sans une prise en compte de ce qu'elle signifie en terme d'enjeux pour l'organisation concernée.

Il n'est pas étonnant dès lors que, vu ses fonctions d'informateur, de médiateur et d'enseignant, Mário Mesquita, membre du conseil exécutif de la Flad de 2007 à 2013 et ensuite administrateur de celle-ci, ait eu le souci, en commentant les buts et les bâtiments somptueux cette la fondation, d'introduire les visiteurs dans les riches arcanes de la collection d'art de cette institution, en en présentant les diverses facettes.

Etant donné son rôle de médiateur auprès des organes de presse portugais et son attachement à la région et à la culture des Açores, Mário Mesquita, par ailleurs grand amateur de livres reliés, ne put qu'être séduit par l'action économique, sociale et culturelle de la Flad, à laquelle il lui fut donné de contribuer.


Notes

1. Licencié en sciences politiques de l'Université catholique de Louvain, Bernardo Gomes exerça des fonctions politiques au Portugal – il fut notamment chef de cabinet de Mário Soares – et mena des activités de recherche à l'Institut portugais de relations internationales de l'Universidade Nova de Lisboa.
2. Voir les recherches menées par le Professeur Arnold Witte dans son laboratoire de recherche de l'Université d'Amsterdam, recherches dont la première phase porte principalement sur l'attachement des membres du personnel et sur les effets des collections d'art corporate. Les résultats d'enquêtes de satisfaction auprès du personnel indiquent que ceux qui sont heureux des conditions de travail et ont une bonne image de leur entreprise apprécient positivement les collections d'art de cette entreprise. Et ceux qui se sentent mal traités dans leur entreprise aiment moins ces collections.
3. Conscientes des risques, certaines entreprises refusent de constituer des types de collections qui les mettraient en porte à faux par rapport à leurs objectifs organisationnels.


Principales références bibliographiques

Boltanski, Luc et Esquerre, Arnaud (2017), Enrichissement. Une critique de la marchandise, Paris, Gallimard.
de Corral, Maria (2019), Essence of a collection, Limelette, Lhoist.
Duarte, Adelaïde (2016), Da coleçâo ao Museu. O colecionismo privado de arte moderne e contemporânea em Portugal, Casal de Cambra, Caleidoscopio ediçâo e artes graficas, s.a.
Entre Linhas/Between the Lines. Desenho na colecçâo da Fundaçâo luso-americana. Drawing in the collection of the luso-american foundation (2005), Fundaçâo luso-americana & Culturgest.
Gryspeerdt, Axel et Catellani, Andrea (2018), Collections et communication d'entreprise. L'art et la mémoire, Dossier, Revue Recherches en communication, n°45, Louvain-la-Neuve.
Gryspeerdt, Axel et Marion, Philippe (2002), L'Esthétique des organisations, Dossier, Revue Recherches en communication, n°17, Louvain-la-Neuve, Département de Communication, Université catholique de Louvain.
Gryspeerdt, Axel et Marion, Philippe, (2002), Espace organisationnel et architecture, Dossier, Revue Recherches en communication, n°18, Louvain-la-Neuve, Département de Communication, Université catholique de Louvain.
Heinich, Nathalie (2014), Le Paradigme de l'art contemporain. Structure d'une révolution artistique, Paris, Gallimard.
Lipovestsky, Gilles (2017), Plaire et toucher. Essai sur la société de séduction, Paris, Gallimard.
Matos, José de Sarmento (1994), Uma casa na Lapa, Lisboa, Quetzal ed. (com a Fundaçâo Luso-Americana para o desenvolvimento).
Museu de Arte contemporânea de Serralves (2002), 1986-2002 Zoom. Colecçâo de arte contemporânea portuguesa da Fundaçâo Luso-Americana para o desenvolvimento : uma selecçâo, Porto, Fundaçâo Serralves (com a Fundaçâo Luso-Americana para o desenvolvimento).
Proximus Art Collection, 1996- (2015), Catalogue, Bruxelles, asbl Proximus Art.

Notice biographique de l'auteur

Axel Gryspeerdt, Professeur émérite de l'Université catholique de Louvain présida de 2000 à 2009 le Laboratoire d'analyse des systèmes de communication d'organisation, le LASCO au sein de COMU dans la Faculté des sciences économiques, sociales, politiques et communicationnelles. Dans le cadre des échanges Erasmus, il fut aussi professeur invité à l'Universidade Nova de Lisboa. Depuis 2011, il préside Collectiana, la Fondation pour l'étude et le développement des collections d'art et de culture. Cette fondation d'utilité publique mène des activités scientifiques et pédagogiques sur le collectionnisme privé.

Cet article est extrait du livre A Liberdade por Principio publié au Portugal en hommage au Prof. Mario Mesquita :
A Liberdade por Principio. Estudos e Testemunhos em homagem a Mario Mesquita. Coordinatores Carlos Guilherme Riley, Claudia Henriques, Pedro Maques Gomes, Tito Cardoso e Cunha, Tinta-da-China (ediçoes), Lisboa, 2021, 815 p.


Mario Mesquita


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