L'histoire du cinéma ne se serait pas faite sans l'apport des collectionneurs. Que ce soit par leur travail de collecte pionnier ou par leur défense passionnée de pans oubliés de la production cinématographique mondiale, les collectionneurs ont durablement influencé tant le terrain que les méthodes de l'histoire des images animées. Leur contribution n'en a pas moins longtemps été jetée dans l'ombre des travaux des représentants des institutions universitaires et des archives institutionnelles. L'intérêt nouveau pour les questions relatives aux archives, à l'archéologie des médias et à l'histoire des techniques a toutefois créé une conjoncture propice à une plus grande appréciation du travail des collectionneurs, de même qu'à une discussion des enjeux et défis inhérents à leurs échanges avec les mondes de la recherche, des musées et des archives. Par ailleurs, nombreux sont les cinéastes dont les démarches créatives et les choix esthétiques sont en définitive influencés par leur seconde identité de collectionneur.
Placé sous la direction d'André Habib (Université de Montréal), Philippe Marion (Université catholique de Louvain, administrateur de la fondation Collectiana), Louis Pelletier (TECHNÈS/Université Concordia) et Jean-Pierre Sirois-Trahan (Université Laval), le colloque
Le cinéma dans l'œil du collectionneur organisé du 4 au 8 juin 2017 à Montréal invite les chercheurs provenant de plusieurs horizons disciplinaires (études cinématographiques, communications, archivistique, histoire de l'art, muséologie, etc.), mais également les collectionneurs, les praticiens, les conservateurs et les archivistes à venir jeter des éclairages multiples sur l'apport unique des collectionneurs à l'esthétique et à l'histoire du cinéma, ainsi que sur les questions de natures épistémologique et historiographique liées à la constitution, à la conservation et à l'usage de collections.
Présentation
Grille horaire
Comment naissent et évoluent les collections ? Que se produit-il quand une collection intègre le monde des archives, que ce soit par une graduelle légitimation de l'entreprise de collecte, ou encore par son acquisition par une institution établie ? L'analyse des textes et des artéfacts rassemblés est-elle déterminée par leur inscription au sein d'un ensemble plus vaste, celui de la collection ? N'y aurait-il pas lieu de considérer la communauté des collectionneurs comme une certaine avant-garde, non seulement du monde des archives, mais du champ des études cinématographiques dans son ensemble, si l'on considère le travail accompli par des collectionneurs tels que Will Day, Henri Langlois, Maria Adriana Prolo, Madeleine Malthête-Méliès, Guy L. Côté, Gerald Pratley, John et William Barnes, Pierre Levie, Kevin Brownlow, Paul Génard ou Rick Prelinger sur des corpus dont la valeur patrimoniale n'a pas toujours eu valeur d'évidence (le muet, le « pré-cinéma », les cinématographies nationales méconnues, les cinémas amateur ou utilitaire) ?
L'audace et la détermination des collectionneurs ont d'autre part nourri de nombreuses pratiques artistiques novatrices. Le colloque entend ainsi aborder les créations de cinéastes dont les démarches demeurent indissociables de l'entreprise de collection ou de l'esprit du collectionneur, qu'ils aient œuvré dans le domaine du cinéma expérimental (Joseph Cornell, Harry Smith, Al Razutis, Ken Jacobs, Ernie Gehr, Alain Berliner, Péter Forgács) ou plutôt donné dans le cinéma narratif (Georges Franju, Jean-Luc Godard, Alain Resnais, Francis Ford Coppola, Martin Scorsese, George Lucas, Bertrand Tavernier, Quentin Tarantino, les frères Quay). Il s'agira notamment de voir comment la redécouverte et la défense de cinématographies oubliées ont pu revivifier la production à divers moments clés de l'histoire des formes, et de comprendre comment recyclage et création ont pu se conjuguer au sein de certaines filmographies tout au long de l'histoire du cinéma.
Par exemple, on connaît l'influence qu'eut le travail d'Henri Langlois sur la prise en compte de l'histoire du cinéma par les cinéastes de Nouvelle Vague.
« Nous sommes les premiers cinéastes à savoir que Griffith existe », pouvait dire Godard.
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Henri Langlois © Enrico Sarsini
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On peut se demander aussi comment les films représentent et questionnent la figure du collectionneur (Citizen Kane étant l'exemple le plus évident, mais non le seul), ou encore comment certains cinéastes appliquent à leurs créations le principe de la collection ou du cabinet de curiosités.
Au fil de ses trois journées de conférences, de démonstrations et de projections, le colloque
Le cinéma dans l'œil du collectionneur entend faciliter les échanges entre des milieux ayant bien souvent entretenu des rapports complexes et parfois tendus. Le collectionneur, on le sait, peut déranger : il investit des pans inexplorés de la production cinématographique et force les institutions patrimoniales à sortir de leur zone de confort. Plusieurs regroupements œuvrant dans des domaines précis – Domitor, Orphan Film Symposium, Home Movie Day, entre autres – ont toutefois révélé le très grand potentiel des collaborations entre collectionneurs, archivistes et chercheurs. Il s'agira maintenant de démontrer que ces collaborations gagneraient à se généraliser au sein de la discipline des études cinématographiques.
Ce colloque est organisé dans le cadre du partenariat international de recherche TECHNÈS financé par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada, avec la participation de la fondation Collectiana.