Fayard, Paris, 2019, 252 p.
Un précieux viatique
Ah ! Quel bon et beau livre que nous propose là Jacques Attali ! A ne pas rater et même à apporter avec soi en cas de naufrage près d'une île déserte.
D'abord, il constitue une ode aux chefs-d'œuvre de la littérature romancée ou non, de l'architecture, du cinéma, de la musique, de l'art, indispensables et essentiels parce que leur rôle est de nous éclairer, de nous grandir, de nous aider à affronter la vie, à comprendre les autres et les enjeux de notre monde.
Ensuite, parce qu'Attali est convaincu – et nous convainc aisément par ses démonstrations – que l'essentiel est transculturel et qu'il ne faut pas se cantonner aux cultures nationales, mais qu'il faut les dépasser, les transcender.
En fait, il propose ce que nous pourrions d'emblée appeler une éducation permanente par les objets (d'art) et par tous les chefs d'œuvres de
Angkor Vat à
Venise jusqu'à
Guerre et Paix et
Moby Dick, en passant par Bartolomé de las Casas et Thucydide...
Ne voyez-vous pas poindre sous les lignes des multiples avantages résultant de la fréquentation régulière de « l'essentiel », les bénéfices inhérents à l'exercice du collectionnisme privé ?
Selon Attali, six qualités se voient aiguisées, exacerbées :
- Le respect de soi
- La ténacité
- La capacité de répétition et celle d'admiration
- Le sens critique
- Le goût du partage
- (p.227)
Cela ne vous dit rien : collectionneur, que pensez-vous développer au départ de votre passion ?
- Les connaissances y afférentes
- Le goût des objets et le goût de l'art
- Mais aussi l'ensemble des qualités énoncées ci-dessus.
Et Attali enchaîne :
La fréquentation des chefs d'œuvres développe aussi
- La maîtrise de soi
- La perception des autres
- La capacité d'anticipation
- Le désir de se dépasser
- (idem).
De mon côté, j'en connais plus d'un qui a atteint ce stade ou commence à y parvenir grâce à l'exercice régulier de sa collection.
Celle-ci n'est-elle pas un profond stimulant, un moteur d'action et de pensée qui permet d'envisager la transcendance – à partir de matériaux totalement immanents – et concourt à élever le niveau de connaissance (par maniements pratiques et pragmatiques, par éducation permanente et par auto-apprentissage), le degré d'amour des objets et l'ensemble des compétences (combien de collectionneurs ne sont-ils pas invités aujourd'hui à devenir des experts de leur domaine d'intérêt ?).
Il est vrai que Jacques Attali connaît et vit les expériences des collectionneurs, étant lui-même passionné par un type d'objets qu'il acquiert, soigne et classifie. Au point d'avoir consacré un des multiples ouvrages dont il est auteur à
la Mémoire de sabliers. Collections, mode d'emploi (Ed. de l'Amateur, Paris, 1997). Dans lequel il s'interroge déjà sur le statut de collectionneur, les bénéfices et les responsabilités qui en découlent.
Dès lors, ne passez pas à côté de ses
Chemins de l'Essentiel ! Vous ne le regretterez pas pour les raisons sus-citées, mais aussi parce que l'ouvrage en question est bourré de listes.
Les listes des œuvres et des lieux à ne louper sous aucun prétexte. Selon votre rythme et vos envies, de manière complète ou parcellaire. On peut largement découvrir une œuvre, une ville, un paysage par une de ses parties, d'un de ses quartiers, sur base de la vision d'un seul pré. Mais dès que l'occasion se présente, allez-y directement : re/voyez
Le Dictateur de Chaplin, re/liser
Cent ans de solitude, re/courez voir
Les Demoisellles d'Avignon de Picasso,
le Bœuf écorché de Rembrandt Van Rijn, entendre
Les Variations Golberg de Jean-Sébastien Bach,
le 2ème concerto pour piano de Rachmaninov...
Les confrontant avec vos propres listes, vous serez amenés à découvrir des merveilles jusque là inconnues de vous.
A propos avez-vous visité l'exposition Frères Morozov ou celle consacrée à Chtchoukine (à la Fondation Vuitton à Paris), fréquenté
la Maison Rouge d'Antoine de Galbert, visionné les films de Gilbert et Georges et sur leur manière d'archiver préalablement ce qu'ils comptent utiliser dans leurs compositions ?
Les listes établies par Jacques Attali dans
les Chemins de l'Essentiel présentent les particularités suivantes :
- Elles proposent dans chaque domaine (dommage que la BD ne soit pas couverte) les dix œuvres essentielles, les trente, les cent autres.
- Chaque titre bien référencé – auteur, intitulé de l'œuvre, lieu, année de réalisation – est accompagné d'un bref commentaire, témoignant de la haute capacité de synthèse et de compréhension de l'œuvre par Jacques Attali. On peut difficilement être plus bref, ni plus « juste » dans le commentaire et le jugement.
- Le choix des œuvres est non seulement affiné, judicieux ; il est en outre inattaquable. Paradoxe. Non seulement subjectives – elles révèlent les goûts de l'auteur et le légitiment en tant qu'amateur éclairé –, les listes composées paraissent empreintes d'objectivité. Il est difficile d'objecter que les choix ne sont pas avisés. Comme l'écrit Attali « cet essentiel n'est pas arbitraire, parce que j'ai confronté cette liste, depuis de longues années, avec bien des gens, du monde entier, qui m'ont fait connaître beaucoup de trésors ; et parce que j'ai pu vérifier, œuvre après œuvre, combien chacune d'elle suscitait d' émotion chez tous ceux qui ont voulu les partager avec moi. » (pp. 11-12).
Eh bien croyez-moi j'ai vu aussi des collections qui suscitaient énormément d'émotions personnelles et collectives. Ces collections émouvantes sont celles dont je me rappelle quasi-quotidiennement. Il conviendra sans nul doute de les rajouter aux listes élaborées dans ce livre...
Axel Gryspeerdt, 11 septembre 2021