Voici deux livres superbement illustrés pour jeunes qui ont le grand mérite de croquer des collectionneurs fiers de leurs collections réciproques, amoureux d'objets bien sélectionnés et bien rangés et occupés à en faire des inventaires minutieux.
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« Les Collectionneurs » d'Adrien Parlange et Guillaume Chauchat (Albin Michel Jeunesse, Paris, 2016) |
« Le CoLLeCTIOnNEur » de Serge Bloch (Bayard Jeunesse Images, Paris, 2012) |
L'un vient de paraître chez Albin Michel Jeunesse, dans un grand format avec des dessins fins en noir et blanc dont certains évoquent des arabesques. Bayard Jeunesse est l'éditeur de l'autre ouvrage, de format plus traditionnel, alternant la couleur rouge avec le noir et blanc et s'inspirant d'anciennes encyclopédies pour présenter les collections. Une volonté esthétique est manifeste dans les deux livres. Un souci d'accrocher par le récit et de narrer une histoire simple à saisir et attrayante, qui n'est pas à l'abri de certains rebondissements.
À première vue, la fable racontée par les deux livres illustrés relève du même registre. Après avoir passé une partie de sa vie à récolter les objets de sa passion et avoir acquis la fierté de les posséder, de les trier et de les ranger, un collectionneur est lassé de sa collection, claque la porte et va vivre de nouvelles aventures. Pour l'un trop de jouets, trop de voitures miniatures, trop de couteaux, trop de dessins, trop de cartes postales, trop de plumes, trop de cuillères, trop de photos jaunies et trop de je ne sais quoi. Pour les autres, trop d'uniformité, de choix exclusif, d'univocité. Bref, chez chacun d'eux, un jour survient un sentiment de
ras le bol, une impression de manque d'espace dans la maison et un souhait de vent frais.
Il faut que cela cesse. Il convient de prendre ses cliques et ses claques, en d'autres termes ses valises ou son parapluie et de laisser là les objets.
On l'aura compris : dans l'un comme dans l'autre de ces livres pour jeunes, la critique est sévère et la morale est bien présente ; la vie ne peut se résumer dans l'accumulation, fût-elle particulièrement ordonnée, d'une série d'objets, même si ceux-ci se distinguent par leur caractère précieux ou par leur originalité.
Les collections du livre publié par Bayard sont particulièrement nombreuses et paraissent suivre le parcours, tracé par le spécialiste français du cerveau Jean-Pierre Changeux, établi au rythme des âges du collectionneurs – d'abord les jouets, les petites voitures et les figurines en plastique ; ensuite, les collections d'objets plus complexes, différentes sortes de plumes, de couteaux et d'ustensiles, cuillères et médailles de diverses origines et de divers calibres... ; enfin, les collections plus intellectuelles et immatérielles, qui envahissent moins l'espace physique.
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« Le CoLLeCTIOnNEur » de Serge Bloch (Bayard Jeunesse Images, Paris, 2012) |
Quant à elles, les collections des deux voisins antagonistes et comparses dans le livre publié par Albin Michel brillent par leur originalité. Comme le signalent d'emblée les auteurs à propos de l'un des personnages : « le collectionneur se moquait des timbres, des autographes et des pièces étrangères.
Il ne ramassait ni fossiles, ni coquillages, ni trèfles à quatre feuilles ».
Comme trame principale et fil conducteur, cette lassitude devant les objets est largement suffisante.
Ainsi, dans les deux livres illustrés, la fin est-elle comparable : les collections ont beau être bien ordonnées, numérotées, voire inventoriées et encadrées, placées aux murs, présentant une esthétique certaine : voilà qu'un beau jour, l'entassement est trop important, les murs de la maison insuffisants, la maison elle-même super-remplie. Le collectionneur harassé, épuisé, décide d'en finir. Il jette les ponts ; il s'en va. Avec les objets qui l'étouffent et l'empêchent de parler aux autres personnes, il a trop souffert.
Mais à bien y regarder, malgré la fuite quasi identique devant les objets, les deux histoires divergent. Et ceci bien que les trois auteurs mettent vite en évidence les périls et les dangers qui guettent les collectionneurs : dangers d'isolement, d'antagonismes, de séparation, de repli sur soi, de lassitude et d'ennui, de vacuité, de délaissement des autres plaisirs de la vie...
Le personnage imaginé par le dessinateur Serge Bloch est un petit monsieur d'allure plutôt maussade et mélancolique, guère liant, les yeux tournés vers ses objets et la tête pleine de ceux-ci. Il connaît tous les tourments du collectionneur : s'isoler, entasser, faire mille et une collections, et en changer régulièrement, être débordé par elles, ne plus parler aux autres, et finalement rejeter le tout. S'évader.
Ce collectionneur reste bien isolé tout au long des pages, cantonné la plupart du temps dans le coin inférieur droit des pages de droite.
La solitude et l'envahissement par les objets caractérisent dès lors le livre esquissé par Serge Bloch, dont le héros morose pourra rebuter les lecteurs attirés par la beauté graphique de l'ouvrage.
Le fait que les collections soient habillement dessinées, impeccablement rangées et classées ne suffira sans doute pas à évacuer une impression de vacuité dans le collectionnisme. La couverture de l'ouvrage a beau regorger d'objets ; les pages de garde afficher une volonté de faire figurer de manière très précise les différents modèles de couteaux et de canifs ; les collections restent impersonnelles et n'arrivent pas à s'identifier à leur propriétaire. La présence de couleur rouge alternant dans l'album avec le noir et blanc ne comble pas ce sentiment. Alors même que l'aspect documentaire est bien soigné et que la qualité visuelle, graphique et matérielle semble recherchée. Avec une jaquette et avec une couverture cartonnée, l'ouvrage est particulièrement bien soigné.
Mais plus il accumule de collections, plus le collectionneur mis en scène par Serge Bloch voit sa solitude s'étoffer.
La fable est beaucoup moins amère chez Adrien Parlange et Guillaume Chauchart : la collection n'est pas seulement vue comme un repoussoir – au contraire, c'est elle qui incite les collectionneurs à s'ouvrir et à s'aérer –. Les plaisirs liés à la quête et à la trouvaille sont évoqués. D'autres collectionneurs rapidement esquissés célèbrent les objets de leurs propres passions autour d'un cordial repas (dont le héros semble s'exclure). Et enfin, une surprise attend le lecteur en dernière page du livre illustré : l'esquisse d'un troisième collectionneur y apparaît sous forme de clin d'œil et de récupération d'objet. Enivrante promesse de nouvelle collection, composée à partir des « cendres » des deux précédentes !
L'oubli, la rupture et le rejet ne sont ainsi pas les seules solutions au trop plein ressenti devant les collections.
Que valent en effet les collections aux yeux de ceux pour lesquels l'amitié est le bien suprême ?
Si les objets collectionnés sont à l'origine d'un conflit, ne deviennent-ils pas très vite le support de la réconciliation, voire le talisman qui ouvre à l'entente. ? Ne convient-il pas surtout de considérer son voisin comme un alter ego, même si sa collection « inversée » fait de lui au départ un antagoniste ?
Prendre le thé et pactiser avec lui sont des activités préférables à le bouder.
En fin de compte, les collectionneurs voisins vont non seulement se mettre à s'estimer l'un l'autre, chacun d'eux faisant même semblant d'aimer la collection « adverse » ; mais en outre ils finiront par partir ensemble vivre d'autres aventures, jouer, voyager, goûter le vin, pratiquer des sports....
Dès lors, voici un livre qui plaira aux jeunes en leur présentant diverses formes de convivialité.
Axel GRYSPEERDT
Décembre 2016
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« Les Collectionneurs » d'Adrien Parlange et Guillaume Chauchat (Albin Michel Jeunesse, Paris, 2016) |