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Licores de Portugal (1880-1980), de Ana Marques Pereira
Édition de l'auteur, Lisbonne, 2013.

L'ouvrage existe seulement en langue portugaise, mais vu la quantité et la qualité des illustrations, il constitue une mine d'informations visuelles pour l'ensemble des collectionneurs.

Rédigé par une femme-médecin spécialisée en hématologie, auteur d'ouvrages sur l'histoire de l'alimentation, l'ouvrage fourmille en effet d'images de tous types relevant du monde de la production et de la diffusion des liqueurs au Portugal. L'intérêt de l'auteur pour les aspects esthétiques et les courants d'art est fort apparent. Elle n'hésite pas d'ailleurs pas à se lancer dans de nombreuses descriptions des signes représentés, qu'elle observe avec la plus grande attention.

Appelée à proposer un thème pour une exposition à Lisbonne liée à un produit alimentaire significatif de cette ville, Ana Marques Pereira a choisi la Ginja, à base de griottes ou cerises aigres, boisson hautement apprécié des Lisboètes et familièrement dénommé Ginjinha par ceux-ci, et a élargi ce thème à l'ensemble des liqueurs fabriquées et vendues au Portugal. Source inépuisable de savoirs et de connaissances, ainsi que de savoir-vivre et d'étiquette, le thème s'avère un puissant moteur visuel par l'ensemble de ses productions symboliques : étiquettes, flacons de bouteilles, publicités, livres et catalogues divers, enseignes en fer forgé, sans être pour autant spécialement destiné aux collectionneurs.

Ainsi, l'ouvrage Licores de Portugal est-il bien inspiré en fournissant un vaste ensemble de parfaites reproductions, qui donnent envie de collectionner les objets et documents liés à la diversité des liqueurs, ces dernières étant par ailleurs sources de dénominations très évocatrices.
La symbolique majoritaire des illustrations relève de la portugalité, en présentant les héros du pays, tels Vasco de Gama, les aviateurs Cabral et Coutinho, « le » marin, « le » pêcheur, ou les objets liés aux découvertes et à la mer : sphères armillaires, caravelles, ancres, fanions, tour de Belem... Les flacons et bouteilles présentent des formes humaines portugaises, de Don Afonso Henriques au personnage-clef de la fadiste, en passant par le joueur de football et le paysan d'Alentejo. Elles peuvent également figurer un coq, un train...

Puisant à de nombreuses sources, l'auteur s'est tournée notamment vers les collectionneurs de verres industriels et d'affiches, parmi lesquels Madeira Luis, dont la collection est actuellement intégrée à l'Université d'Aveiro. Plusieurs personnes lui ont ainsi largement donné accès à leurs archives et à ce que les Français appellent leurs vieux papiers, personnes qu'elle préfère dénommer des collectionneurs de l'éphémère « qui gardent les papiers qui racontent des histoires qui, sans eux, seraient perdues ».

Le livre d'Ana Marques Pereira se veut surtout – et il réalise pleinement cet objectif – le résultat d'une recherche minutieusement menée sur l'univers des liqueurs au Portugal, mais aussi dans les autres pays d'Europe qui jouent un rôle prépondérant dans ce secteur, tels la France et l'Italie.
À relever notamment les pages particulièrement savoureuses consacrées aux productions monastiques, origines réelles ou parfois légendaires des liqueurs, imaginées à des fins pharmaceutiques, curatives et médicinales. Rappelons que la Bénédictine fut propagée par l'industriel Alexandre Le Grand, qui eut l'idée de bâtir à Fécamp un château de style plutôt rococo, pour abriter sa fabrique de liqueurs et ses collections de tableaux et de vitraux. Il eut le goût de confier ses publicités aux meilleurs artistes et affichistes de son époque, tels Alphonse Mucha et Louise Abbéma.

Il convient de s'arrêter aussi sur la figure exemplaire de Leopold Wagner (1858-1923). Ce dernier est un des grands producteurs portugais (fabrique Âncora, À l'ancre), d'une imagination et d'une créativité tout à fait débordantes : dénominations, étiquettes, formes des bouteilles et des bouchons (livres, lanternes, ancres...), mais aussi variété des fabrications : sirops, curaçao, anisette, élixirs, eaux-de-vie de canne, granits, liqueurs aux saveurs multiples... Polyglotte, il était amateur d'art et, sous son impulsion, trois albums de photographies furent publiés. En 1993, l'Université de Coimbra édita une collection de 24 calendriers reprenant certaines de celles-ci. Il fut aussi à l'origine de deux albums de gravures et de photogravures du XIXe siècle, l'un consacré à la ville de Lisbonne et l'autre à celle de Porto (édités en 1990).

Repérant quelques centaines de fabriques et de marques et plusieurs dizaines de types de liqueurs, attentive aux rites qui les accompagnent depuis la fabrication jusqu'à la dégustation, l'auteur fournit un travail de type anthropologique et historique, appuyé par quelques années de recherche et d'observations.

L'ouvrage est complété par une abondante bibliographie, notamment en langue française et en langue anglaise. Par la richesse de son texte et celle des illustrations, il ne laissera indifférent aucun amateur de liqueurs.

Axel Gryspeerdt
Août 2020

Licores de Portugal


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