Par
Art Media Agency, 23 février 2015, sur le
site de La Tribune.fr
Européen, nord-américain ou asiatique, le collectionneur d'art est philanthrope et passionné. Portrait-robot.
|
C Reuters |
Larry's List en coopération avec l'Université de Zurich, édite son premier rapport sur la scène internationale des collectionneurs d'art, Art Collector Report 2014. Cette société basée à Hong Kong et fondée en 2012 par Magnus Resch recueille de manière exhaustive des données sur les collectionneurs d'art contemporain. Larry's List recense, à ce jour, plus de 3.000 profils de collectionneurs à travers plus de 70 pays.
Quatre critères sont retenus pour sélectionner ces passionnés : ils doivent essentiellement collectionner de l'art contemporain, la collection doit contenir un nombre pertinent d'œuvres, le collectionneur doit être vivant et actif sur le marché de l'art et enfin, il doit avoir une certaine visibilité publique. Au regard de ces critères, le rapport estime à 4.000-5.000 le nombre de collectionneurs dans le monde. En ajoutant les collectionneurs non visibles, leur nombre monterait à 8.000-10.000. Le ratio visible/non-visible varie selon les cultures. Aux États-Unis, par exemple, les symboles de réussite sont souvent les bienvenus alors qu'en Suisse, le collectionneur se fait plus discret.
C'est en Europe qu'on trouve la plus grande proportion de collectionneurs soit 38 %, viennent ensuite l'Amérique du Nord avec 28 % et l'Asie avec 18 %, suivi de l'Amérique latine (8 %), le Moyen-Orient et l'Afrique (5 %), les 3 % restant se trouvant en Australie. Néanmoins, sur l'ensemble des collectionneurs, 25 % sont basés aux États-Unis, ce qui rend la scène américaine plus importante que les scènes allemande, britannique et chinoise réunies. Ainsi, à l'échelle des pays, plus de la moitié des collectionneurs est concentrée sur 5 pays : les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni, la Chine et le Brésil. À l'échelle des villes, cette fois, New York arrive en tête avec 9% des collectionneurs, suivi de Londres (6 %) et São Paulo (3 %).
Montée en flèche des collectionneurs asiatiques
Le rapport dresse également le portrait-robot du collectionneur. L'âge moyen de ces férus d'art est de 59 ans ; plus précisément, 90 % sont âgés de plus de 40 ans, 8 % ont entre 31 et 40 ans et 2 % ont moins de 30 ans. Dans 29 % des cas, le collectionneur est une collectionneuse. Concernant leurs secteurs d'activité professionnelle, 12% d'entre eux viennent du monde de la finance, 11 % des médias et du divertissement, 7 % travaillent dans le domaine des biens de consommation, 7 % dans des organismes à but non-lucratif et 6 % dans le secteur de la santé.
Ceux qui dépensent le plus se trouvent en Asie, ce qui peut s'expliquer par le contexte historique et économique. Les États-Unis et l'Europe ont un long passé de collection alors que le marché asiatique s'est surtout développé avec l'expansion économique récente. Les collectionneurs asiatiques jouent en quelque sorte la session de rattrapage en termes de collection.
Les prix des œuvres sont également plus élevés en Asie et les artistes chinois se vendent à des prix premium créant un marché constitué de peu de collectionneurs mais qui ont un pouvoir d'achat très important.
Cet Art Collector Report 2014 indique aussi que 53 % des collectionneurs possèdent moins de 500 œuvres, 19 % entre 500 et 1.000, 28 % plus de 1.000 œuvres d'art. Les résultats restent à considérer avec précaution car certains collectionnent du land art ou des sculptures en extérieur, ce qui limite, de fait, le nombre d'œuvres.
À peu près la moitié des collections ont été commencées entre les années 1980 et 2000.
La peinture reste le médium incontesté puisque 4 collectionneurs sur 5 possèdent des peintures dans leur collection. Viennent ensuite les sculptures et les photographies. Les installations et les œuvres sur papier ferment la marche.
Parmi les artistes collectionnés, Andy Warhol arrive en tête suivi par Pablo Picasso,
Damien Hirst et
Gerhard Richter. À noter que la moitié des artistes du Top 10 sont originaires des États-Unis : Andy Warhol, Cindy Sherman,
Sol LeWitt, Jeff Koons et Roy Lichtenstein. Les artistes américains sont très attractifs et se retrouvent dans 40 % des collections. Quant aux artistes allemands, on les retrouve dans 24% des collections, le reste se répartit essentiellement entre les britanniques, les français et les chinois. Les artistes japonais trouvent, tout de même, une place au huitième rang des artistes les plus collectionnés notamment grâce à Takashi Murakami, qui à lui seul, se retrouve dans 2% des collections.
Ces données mettent en lumière le fait que collectionneurs et artistes ont souvent la même nationalité. Les raisons proposées par Larry's List vont des taxes à l'import rédhibitoires, en passant par le besoin de se sentir « proche » de la création artistique régionale ou encore le soutien au développement artistique du pays.
Environ 12 % des collectionneurs proposent leur collection au public via Internet. Comme le souligne Sylvain Levy : « Quand nous avons commencé à collectionner de l'art chinois, nous voulions le partager avec les Chinois. Comme nous vivons à Paris, la seule façon de présenter notre collection à un public chinois était Internet. »
L'édition de catalogues ou de livres en lien avec les collections est également pratique courante ; 10% des collections sont associées à au moins une publication, allant de la monographie de solo show d'artistes à des vues d'ensemble de la collection. Heiner Wemhöner, collectionneur basé à Herford en Allemagne, ajoute que :
« La plus grande partie de ma collection est stockée dans un dépôt, c'est pour cela que j'ai publié trois livres sur ma collection. »
Le collectionneur cultive la philanthropie
Les collectionneurs sont également assez impliqués dans la vie des institutions publiques, 37 % d'entre eux font partie de divers comités institutionnels. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, où la culture de la philanthropie est très développée, le montant global de leurs dons, en 2012, s'élevait à 14,44 milliards de dollars. Aujourd'hui, un nombre croissant de collectionneurs présente leurs collections dans des musées privés mais dont l'accès reste gratuit. Les motivations sont variées, allant de la simple envie de présenter ses œuvres au fait de partager sa passion en passant par légitimation d'engagements plus avancés comme l'éducation à l'art ou des programmes de résidences d'artistes.
La défiscalisation n'est pas en reste. Barry Keldoulis, PDG de Art Fairs Australia, commente cette tendance :
« Dans la majorité des cas, il s'agit d'altruisme. Ce sont des personnes qui sont très impliquées dans l'art contemporain et qui souhaitent partager leur enthousiasme avec un public plus large...»
Il existe à ce jour 350 musées privés répartis sur 46 pays, dont 48 se trouvent aux États-Unis, soit 14 % de l'ensemble des musées privés. Étant donné que 25 % de l'ensemble des collectionneurs sont basés aux États-Unis, le nombre de musées privés semble proportionnellement faible. L'inverse est observée en Allemagne avec seulement 8 % du total des collectionneurs installés dans le pays mais on y trouve 45 musées privés soit 13 % de l'ensemble. Dans ces deux pays, particulièrement, les collectionneurs bénéficient de déductions fiscales en présentant leurs collections au public en tant que fondation à but non-lucratif.
New-York, Berlin, Pékin
Larry's List décline enfin son étude selon les grandes régions du monde.
Aux États-Unis, New York arrive largement en tête comme ville résidence de collectionneurs (34 %), suivi de Los Angeles (11 %) et Chicago (5 %). Andy Warhol reste l'artiste incontournable, il se retrouve dans 17 % des collections et Cindy Sherman est la seule artiste femme de ce Top 10 américain.
Willem de Kooning et Ed Ruscha, qui ne sont pas dans le Top 10 international, se classent respectivement au troisième et quatrième rang dans ce classement régional, derrière Pablo Picasso. En Amérique latine, le Brésil se classe en tête avec 57 % des collectionneurs de la région, vient ensuite l'Argentine (17 %), le Mexique (8%) et Porto Rico (7 %). Au niveau des villes, São Paulo regroupe 36 % de passionnés soit plus que l'ensemble des collectionneurs d'Argentine et du Mexique réunis. Buenos Aires se classe deuxième du Top 10 régional (16 %), suivi de Rio de Janeiro (11 %). Au Brésil, hormis 19 % des collections qui ont démarré avant 1960, un pic de début de collection s'observe entre 2001 et 2010 (27 %). La scène brésilienne des collectionneurs est donc relativement jeune avec un attrait particulier pour des artistes tels que Beatriz Milhazes, Alfredo Volpi et Mira Schendel.
En Europe, l'Allemagne est le pays qui concentre le plus de collectionneurs (21 %) avec le Royaume-Uni (19 %) et la France (8 %), suivi de l'Espagne (7 %) et de l'Italie (7 %). Londres domine avec 15 % des collectionneurs européens, viennent ensuite à égalité Paris et Berlin (6 % chacun). En Allemagne, Berlin regroupe 28% de l'ensemble des collectionneurs allemands, viennent ensuite Düsseldorf (10 %) et Hamburg (9 %). Les trois artistes les plus collectionnés dans ce pays, sont Sigmar Polke, Joseph Beuys et
Gerhard Richter. La longue tradition de collection allemande se retrouve à travers les 72% de collections ayant débuté avant 1991.
En Asie, Pékin concentre 14 % des collectionneurs, Séoul 12 % et Singapour 7 %. En Inde, les collectionneurs affectionnent Bombay (33 %), New Delhi (27 %) et Calcutta (13 %) et le tiers d'entre eux a moins de 41 ans. La préférence va aux artistes M. F. Husain, S. H. Raza et Anjolie Ela Menon. Plus spécifiquement, en Chine, Pékin reste numéro un, abritant 41 % des collectionneurs chinois suivi de Hong Kong (16 %) et Taipei (14 %). Les artistes les plus recherchés sont Zeng Fanzhi, Zhang Xiaogang et Zhou Chunya. Les collections ont timidement commencé entre 1981 et 1990 (17 %) avant d'exploser entre 2001 et 2010, avec 45 % de nouvelles collections, ce qui explique vraisemblablement la faible fréquence de musées privés. Comme le conclut Zheng Hao, féru d'art basé à Shanghai :
« Posséder une collection privée est une joie personnelle, montrer une collection privée est une joie partagée. »