suivi d'un dialogue avec Milad Doueihi sur le musée numérique
(MkF éditions, Coll. Les essais médiatiques, Paris, 2020, 192 p.)
Suivant une démarche de type anthropologique, Yves Winkin imagine douze rituels pour nous montrer comment les gens vont vers le musée ou comment le musée va vers eux. Il ouvre ainsi la voie à davantage de liberté et de mouvement de leur part. Liberté de se déplacer, de courir, de tenter des expériences dans l'obscurité ou dans la lumière des salles.
Qu'ils soient carpes ou lapins, respectueux ou insoumis (cfr. huitième rituel, le mariage de Mlle Carpe et de M. Lapin).
Son principal propos porte ainsi sur le comportement des publics, revisité hors des chemins traditionnellement balisés et surtout loin des préceptes implicites de la visite des musées, s'incarnant dans le visiteur solitaire, respectueux et distant des objets (p.171).
Tout le contraire de cette dernière représentation.
Selon Winkin, la mutation des musées consiste à mettre en avant « la sortie » – même un peu chahutée – « au musée vu comme un lieu d'activités de loisirs », plutôt qu'à s'intéresser à « la visite au musée » (p.176).
Le musée traditionnellement
habité par la direction, les médiateurs et les objets se voit ainsi transformé (changement de type II dans l'optique de l'école de Palo Alto) en un lieu
habitable par des participants actifs, vivant des expériences.
L'élément central se déplace de la conservation des patrimoines vers la mise à disposition des objets aux gens, selon un rapport renouvelé avec ceux-ci.
Comment ne pas songer dès lors au précepte – plus radical encore – énoncé par Orhan Pamuk, selon lequel chaque personne se devrait de construire son propre musée et d'y déposer – et vénérer – les quelques objets fétiches qui l'ont accompagné au cours de sa vie dans son environnement quotidien (mèche de cheveux, peigne, ancienne photo ou carte postale, première radio ou premier disque, klaxon de voiture, lettre d'amour …) ? Vénérer ces objets de vie tout en les touchant du regard et des mains et en les proposant à voir et toucher à ses amis et connaissances. Permettant ainsi aux personnes réunies d'échanger leurs souvenirs et d'imaginer l'avenir de leur communauté d'appartenance. Selon un rite très puissant, très impliquant et très marquant. Rite qui n'exclut ni la fête, ni le débat, ni les contradictions et qui permet à chacun d'apporter ses propres objets et ses propres récits et témoignages. Dans une ambiance tout à la fois ludique, empathique et cognitive. Ceci signant la fin et le renouveau des musées.
Le collectionneur privé trouvera quelque écho entre les idées préconisées dans l'essai de Winkin et ses propres pratiques, pour autant qu'il ait la volonté d'immerger également au sein de sa collection ses amis et ses proches, ainsi que les membres de sa communauté.
Ajoutons à cela que le dialogue entre l'anthropologue (qui signe l'ouvrage) et le philosophe du numérique, Milad Doueihi, aborde largement les problématiques de l'accès des musées à tous et du rôle attribué aux bâtiments muséaux, ainsi que celles des formes de médiation et de l'importance du corps lors de la confrontation avec les objets sélectionnés ou numérisés.
En bref, une lecture stimulante sur le devenir des musées, dès lors qu'un zeste de poésie imaginative vient à « secouer le cocotier ».
Axel Gryspeerdt