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« Une Collection très particulière » de Bernard Quiriny (Éditions du Seuil, Paris, 2012)
Bernard Quiriny - Une collection très particulière Le titre peut induire en erreur.
Plutôt qu’un ouvrage à propos d’une collection, le livre est constitué d’une série d’histoires imaginaires dont seulement quelques-unes traitent de collections. Mais avec quel panache, avec quelle dose d’humour ! Les fervents d’Umberto Eco prendront un plaisir fou à y retrouver la verve de Comment voyager avec un saumon (Grasset, 1998). Quelle soif de déduction! Quelle volonté de classer, de trier, d’ordonner, de permettre des rapprochements audacieux constituant des centaines de découvertes hautement jubilatoires !

Ainsi Quiriny présente-t-il une bibliothèque – celle de son « comparse » en nouvelles, le dénommé Pierre Gould – remplie de livres les plus extravagants du monde.

Une étagère de cette bibliothèque est remplie de livres dont les textes s’évaporent lors de leur lecture, ou du moins se résorbent au fur et à mesure qu’un lecteur s’aventure dans les textes.
La bibliothèque en question présente aussi un rayonnage contenant des livres de mauvaise cuisine, à savoir celle dont la confection rend malade, dont les recettes contiennent des ingrédients impossibles (ailes d’escargots, poumons de langoustines, agneaux centenaires, fèves de pommes… en fournissent de bons exemples), ou encore dont les proportions individuelles empêchent les utilisateurs de dormir.
Il y a aussi, dans cette étonnante bibliothèque, un ensemble de livres dont on oublie le contenu en les lisant.
Une étagère de cette même bibliothèque, jouxtant probablement celle des livres « épurés » (ceux-là même qui s’évaporent), contient les « livres gigognes » qui fournissent des lectures multiples à l’instar des Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau. Car à l’intérieur des fascicules, il est possible de découvrir 10, 20, 100, 1000 autres compositions de livres, en sélectionnant par exemple uniquement le premier ou le dernier mot de chaque paragraphe. Dans un même ouvrage, le lecteur un peu futé décèlera des lipogrammes, des sonnets, des versets cachés et même « des dessins érotiques, en reliant au crayon tous les “q” d’une double page » (p. 77). Un régal pour les amateurs de livres.

Une autre section de la bibliothèque de Pierre Gould, auquel Bernard Quiriny cède la parole plus qu’il n’est de raison, est composée de livres « les plus ennuyeux du monde ». Selon Gould, cette section est montrée seulement à « des visiteurs triés sur le volet ». « Gould n’y a admis que des œuvres suprêmement ennuyeuses, des livres qui incarnent littéralement l’ennui, qui le suintent à chaque page et à chaque ligne ; le tout-venant des livres médiocres, où l’on s’ennuie poliment et qu’on ne finit pas (…) », n’y ont pas leur place.

Et comme Bernard Quiriny adore les classements, chacune des sections de la bibliothèque de Gould est divisée en de multiples catégories. Ainsi la dernière section citée ici comprend notamment :
- les recueils et romans qui ennuient ceux qui les ont composés ;
- les récits volontairement ennuyeux ;
- les lectures où « l’on meurt d’ennui au bout de 10 lignes ».

Bernard Quiriny détaille chaque ouvrage, l’inventorie en en donnant le titre, le nom de l’auteur, les caractéristiques principales. Il rend vivante la bibliothèque de Gould, donne envie de s’y intéresser, de la parcourir, de commander les ouvrages qui s’y trouvent.
Fin guide dans le parcours tantôt morbide (les livres les plus ennuyeux du monde, les recettes fatales, les livres reniés par leurs auteurs qui peuvent aller jusqu’à tuer leurs lecteurs pour s’en débarrasser à jamais, ou ceux qui font disparaître leur auteur), tantôt fantaisiste (les livres gigognes, les livres épurés, les livres qui sauvent, les livres qui fournissent de l’énergie), Quiriny n’hésite pas à rassasier l’amateur de bibliothèques privées. Au même titre qu’Italo Calvino nous contait les méfaits du Baron perché, il imagine un Gould s’inspirant des farceurs Bouvard et Pécuchet ou pourvu de l’ironie propre à Raymond Queneau déjà cité.

Double de Gould, Quiriny étourdit le lecteur par ses farces et attrapes. Son ironie bienveillante s’insinue partout. Amateur de livres, il ne dédaigne pas non plus en effet les cités imaginaires, les grands bouleversements du monde, la déraison de la raison: il fignole, se joue de nous, invente de nouvelles issues à des histoires amplement connues par ailleurs.
Il fait songer à Roger Caillois réécrivant le récit de l’arche de Noé, présentant un Ponce Pilate qui gracie Jésus-Christ, imaginant un Albrecht Dürer amateur de pierres. Il est vrai que l’auteur de Cases d’un échiquier aurait apprécié l’agencement judicieux des nouvelles proposé par l’auteur d’origine belge: jamais deux textes de même nature – entendez par là de contenu et de forme – ne se succèdent, et néanmoins un fin réseau de correspondances se tresse. C’est qu’il s’y connaît en architecture de livres, cet auteur conscient comme pas un de la toute-puissance de la lecture et de la force d’action propre aux livres eux-mêmes, porteurs d’âme.

Une bibliothèque pleine d’ouvrages rédigés par Quiriny constituerait par elle-même un régal. Mais le bougre s’est contenté jusqu’à présent de fournir seulement un quintette de livres, souvent composés de courtes nouvelles – la plus courte dans Une collection très particulière est constituée seulement de deux lignes. Ce qui n’a pas empêché l’Académie royale de Belgique d’octroyer tout récemment un prix de belles lettres à ce fabulateur prodigieux.


Axel GRYSPEERDT
avril 2013

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