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Les collectionneurs sont-ils des personnes insolites ?
Axel Gryspeerdt Actes du colloque du 3 mars 2012
tenu à Wavre en coorganisation avec le S. I. de Wavre



Introduction par Axel Gryspeerdt


Que veut dire « Collectiana » ?

« -IANA » est une forme terminale bizarre, plutôt rare, que l’on trouve parfois accolée à un nom propre. Ainsi « Caesariana » voudrait dire «ce qui a trait à la femme de
César» ; « Caesarianus », « ce qui est relatif à César ».

Mais en l’occurrence « Collection » n’est pas un nom propre.

On peut imaginer cependant que « collectiana » signifierait « ce qui est relatif aux collections » ; « ce qui est propre aux collections » ou plus précisément, « à propos de collections… ».

À propos de collections, que savons-nous ? pourrait être « le slogan » de la fondation.

Car, c’est bien sur cette volonté de connaissance que s’appuie le projet culturel et pédagogique de la fondation Collectiana, fondation pour l’étude et le développement des collections d’art et de culture, fondation reconnue d’utilité publique et créée le 2 mars 2011.

À savoir : que savons-nous à propos des collections et des collectionneurs ?

Non pas à propos d’une collection spécifique ou particulière, comme le serait une collection d’objets d’art ou une collection d’objets techniques, ou encore une collection d’objets animaliers ou de naturalia ; voire une collection d’objets étranges comme ceux que l’on rencontre dans les cabinets de curiosité ou au contraire d’objets quasi quotidiens de la vie courante.

C’est-à-dire, à propos de l’ensemble très diversifié des collections.

À savoir, ce que nous savons à propos du comportement générique, commun à l’ensemble des collectionneurs.

Ce que l’on appelle parfois la collectionnite (titre d’un livre d’Emmanuel Pierrat paru en 2011), le collectionnisme, voire la collectiomania, ou plus exactement l’action de collectionner, ce que les ango-saxons appellent le collecting.

Le collecting est une action très répandue. Selon certaines sources, 30 à 40 % de la population collectionneraient. Sans que cela ait pu être vérifié avec précision et sans disposer de données fiables d’information à ce sujet. Autrement dit : sans être l’objet d’études systématiques.

Simultanément, collectionner consiste à contribuer au développement culturel et à la préservation des patrimoines, ainsi qu’à la création artistique et à la créativité artisanale.

Wavre est un bel exemple de cette diversité et de cette stimulation, puisque depuis 25 ans, le syndicat d’initiative réalise chaque année une exposition de 25 à 30 collections dites insolites. De collections plus diversifiées encore que les noms poétiquement énumérés dans un texte de Jacques Prévert ou que ceux repris parmi les listes les plus bizarres épinglées par Umberto Eco dans son Vertige de la liste (Flammarion, 2009).

Le président du Syndicat d’Initiative de Wavre, M. Marcel Godfroid, a évoqué certaines de ces collections insolites dans son allocution d’accueil, et Françoise Detienne possède des listes renversantes d’originalité et de créativité, dans lesquelles figurent l’ensemble des collections exposées depuis 25 années.

Aujourd’hui, c’est la fête des collectionneurs de Wavre, persévérants, enthousiastes et fidèles, dont certains même n’ont pas eu peur, cette année, d’exposer leurs objets malgré les grands travaux dans le parc du château de l’Ermitage.

Et, à cette occasion, la Fondation Collectiana souhaite appliquer l’idée selon laquelle seule la conjonction de diverses approches scientifiques des sciences humaines et des sciences sociales permet d’éclairer le collectionnisme dans sa complexité, vu ses dimensions sociologiques, anthropologiques, culturelles, historiques, sociales, artistiques, économiques et psychologiques, voire même psychanalytiques.

Quelques collègues ont accepté de nous aider à livrer en priorité, à Wavre, les résultats de leurs premières réflexions et analyses, chacun à partir de sa discipline : communication, marketing, sociographie, analyse des techniques d’information, lexicologie.

Et ceci, à partir d’une seule question, liée à l’exposition du château de l’Ermitage : « les collectionneurs sont-ils des personnes insolites ? »

En l’absence de Françoise Detienne pour raison de santé, et en complément du mot de M. Godfroid qui a précisé l’origine, le déroulement actuel et les perspectives des collections insolites, le premier exposé est présenté par Philippe Marion, professeur de communication et de narratologie à l’Université catholique de Louvain, à Louvain-la-Neuve, « bédéphile » et administrateur de la Fondation Collectiana. Il prétend que les collections sont éloquentes, qu’elles racontent quelque chose, que leur logique est comparable à celle des récits. C’est peut-être pour cette raison que beaucoup de collectionneurs sont toujours prêts à … raconter quelque anecdote ou élément sur leur passion.

Quant au vocabulaire ou au langage des collections, ne présente-t-il pas une allure parfois insolite ? Ne convient-il pas d’être initié pour le décoder ? Wakouwas, gonviers, bousillages, coléoptères sont-ils des injures proférées par le capitaine Haddock, qui allient force sonore et caractère saugrenu, ou… simplement des noms communs d’objets de collections ?
À l’instigation de Collectiana, deux collègues de la faculté de Philosophie et Lettres de l’UCL ont accepté de se pencher sur ce sujet, nouveau pour eux et fourmillant de dénominations qui évoquent parfois des termes médicaux ou pharmaceutiques. Jean Klein, professeur émérite en langues romanes et collaborateur du « Centre des lexiques romans » (Louvain-la-Neuve) et Cédrick Fairon, professeur de lexicologie et directeur du Centre de traitement automatique des langues (Cental) qui étudie les rapports entre informatique et langage, avaient déjà précédemment mené ensemble une recherche de grande réputation dans laquelle ils ont analysé 75 000 SMS. Leur enquête avait eu pour nom « Faites don de vos SMS à la science ».

L’élément déclencheur et les motivations des collectionneurs sont des facteurs capitaux du parcours et du développement des collections. Professeur de marketing et de publicité à l’Institut des Hautes Etudes en Communication Sociale (IHECS), à Bruxelles, Jean-Claude Jouret connaît bien le domaine des collections. Cet administrateur de Collectiana est un tintinophile et même un fameux tintinologue. Ancien secrétaire général de la Fondation Hergé, on lui doit notamment un ouvrage sur les droits dérivés consacré à Tintin et le merchandising (Académia, 1991). Brossant l’ensemble des collections privées et leurs évolutions, il recherche quels sont les éléments susceptibles d’alimenter la passion des collectionneurs.

Quant à Sébastien Delcampe, il est ce Belge, hennuyer de la région de Soignies, qui a eu la riche idée d’aider les collectionneurs en créant un site de vente d’objets de collections par Internet (www.delcampe.net) qui allie forum de discussion et web de ventes et d’achats. Depuis sa première réalisation, une dizaine d’années se sont écoulées. Plus de trois millions d’objets ont transité par ce site et près de 700 000 membres, au niveau international, font aujourd’hui partie de la communauté de collectionneurs qu’il a créée. Une vingtaine de collaborateurs travaillent à ses côtés. Sur base des connaissances permises par son site, il a accepté de livrer, pour la première fois à Wavre (comme les autres intervenants), des données chiffrées sur le profil actuel des collectionneurs « branchés » en ligne. Il présente aussi les avantages que peut fournir aux collectionneurs l’utilisation d’Internet.

L’ensemble des interventions à ce colloque « du 25e anniversaire » constitue ainsi une première originale en Belgique francophone et contribue à lever le voile sur cette activité culturelle – répandue et diverse, donc, tout compte fait, pas si insolite que cela – que représente le collectionnisme.


Suite : Regards de lexicophiles sur les dénominations des collections par Cédrick Fairon et Jean Klein

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