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À la découverte des collectionneurs de l'exposition

Jacques Polet


Jacques Polet, discophile

D'où est venue cette idée de collection ?

Mon inclination collectionniste fondamentale doit remonter à l'époque où, adolescent, j'écoutais chaque semaine avec passion « La Tribune des discophiles », une émission radiophonique culte pour moi, où trois critiques musicaux, emmenés par Jacques Stehman – qui alliait acuité de l'analyse et profond humanisme – , se livraient à de subtiles comparaisons d'enregistrements d'une œuvre classique, l'échange de leurs points de vue faisant merveille. Les auditeurs étant invités à transmettre leur opinion, je me risquais çà et là à écrire mes réactions ; je fus même (agréablement) surpris qu'ils aient un jour repris sur antenne, en conclusion de commentaires, l'avis peut-être étrange que j'avais formulé (après le comparatif d'interprétations du premier concerto pour piano de Brahms) et qui tranchait que la version idéale aurait consisté, en fonction des trois mouvements de l'œuvre, à réunir... trois interprètes différents parmi ceux qui avaient été proposés. Cette « audace », sans doute attribuable à une juvénilité un peu naïve, avait pourtant été retenue comme une « synthèse » appropriée de l'enjeu...
En réalité, la formule même de cette émission rejoignait – ou avait éveillé – probablement en moi une propension plus générale à des mises en parallèle, des rapprochements, à l'établissement de taxinomies, et qui fait que, au-delà du domaine ponctuel de la discophilie, j'ai pu manifester un intérêt de principe pour le collectionnisme.

Pourquoi ? Quelles motivations ?

Dans ce même esprit comparatiste, et pour demeurer dans le strict domaine de la musique classique, la discothèque que j'ai constituée contient différents enregistrements d'une même œuvre (parmi bien d'autres, les « Etudes d'exécution transcendante » de Liszt ou les symphonies de Chostakovitch), mais on ne saurait évidemment parler ici de « collection ». Par contre, l'acquisition progressive d'interprétations de la sonate pour piano n° 32 en ut mineur opus 111 de Beethoven a procédé d'une démarche systématique.
L'impulsion vient de ma découverte de cette œuvre lors du concert de clôture d'un camp des Jeunesses Musicales. Écrite entre 1820 et 1822, dans la dernière période créatrice du compositeur, cette sonate ne comporte que deux mouvements (au lieu des trois ou quatre habituels), tout en contrastes : le premier, successivement majestueux et passionné ; le second, merveilleusement chantant, fait d'une série de variations (dont l'une étonnante, à la rythmique très balancée, préfigurant, si l'on ose dire, les « swings » jazzy...), mais qui s'achève dans des pianissimi à l'intensité méditative telle que l'on comprend que tout mouvement supplémentaire ait été exclu et que l'écrivain Thomas Mann (dans son «Docteur Faustus») ait évoqué symboliquement, à propos de la 32e, un « adieu à la sonate »: ultime et sublime.

En dépit de ses exigences techniques et interprétatives qui font que cette composition a mis longtemps à s'imposer au répertoire, il est frappant d'observer combien de pianistes ont petit à petit tenu à l'affronter et à conserver durablement leur version (dont quelque 230 à ce jour ont pu être rassemblées dans la collection). Outre, évidemment et d'abord, l'emprise exercée par cette œuvre, ce qui (me) retient particulièrement ici, c'est l'exceptionnelle différenciation interprétative, singulièrement dans le traitement de la durée (dans les cas extrêmes elle peut aller de 18 à 48 minutes...).
Par l'articulation fascinante de la contrainte (la partition) et de la liberté (l'interprétation) qui se décline ici en d'infinies variétés, la sonate opus 111 a constitué un « bon objet » pour une entreprise collectionniste (impliquant par excellence les critères tout à la fois d'unité et de diversité).

Quel est votre objet préféré ? Pourquoi ?

Il peut heureusement changer selon les attentes et la sensibilité du moment. Mais on peut aussi avoir une certaine tendresse pour les «rarities» dénichées, à l'occasion de différents séjours, sur des « marchés » lointains, et qui ne sont plus disponibles (même aujourd'hui, malgré les possibilités permises par les voies internet spécialisées).

Quel est votre rêve de collectionneur ?

Le « rêve » d'un collectionneur – pour reprendre la notion – ne serait-il pas de s'inscrire dans deux logiques ?
- D'une part, celle d'une collection fermée. Je pense, pour prendre un exemple très commode, à la récente série des délicates figurines des personnages de Hergé, proposée à une cadence bimensuelle par la société Moulinsart en partenariat avec le journal « Le Soir » et qui s'est clôturée sur le nombre, non annoncé, de... 111 statuettes (en y adhérant, j'avoue ne pas avoir d'instinct anticipé le chiffre...).
- D'autre part, la perspective d'une collection ouverte (comme, dans le cas présenté ici, celle des versions de la sonate opus 111 qui s'enrichit de l'apport de nouveaux pianistes).

Le jumelage des deux logiques contribue selon moi à répondre à une préoccupation ambivalente du collectionneur: d'un côté, combler et «épuiser» un champ du désir ; de l'autre, être susceptible de « relancer » sans cesse celui-ci pour le maintenir vivace.

Que pense votre entourage (famille, amis) de votre passion ?

Beaucoup de compréhension de l'entourage familial – ce d'autant que, par nature, les supports de la collection ne sont (spatialement) pas (trop) envahissants.

Jacques Attali a écrit : « En réalité, le collectionneur ne choisit pas son sujet. Il est choisi par lui... ». Qu'en pensez-vous ?

La formule d'Attali joue sur le renversement paradoxal du rapport sujet (choisissant) / objet (choisi), remplaçant l' « unilatéralisme » d'une relation par un autre. Sujet et objet s'alimentent en réalité mutuellement, ce qui explique la très forte persistance d'une démarche collectionniste une fois que celle-ci est engagée.

Jacques Polet




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