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Alberto de Lacerda (Mozambique, 1928 - Londres, 2007) : peut-on collectionner des offrandes ?

Alberto de Lacerda Avoir des amis dans le monde entier

Il aimait voyager, au point que ses amis parlaient de lui comme « un exilé de lui-même ». Il aimait surtout entretenir une vaste correspondance épistolaire de par le monde, surtout anglo-saxon, mais aussi lusitanien et francophone. Ce qui lui a permis d'accumuler les lettres, les ouvrages et les dessins que les poètes comme lui aimaient lui envoyer.
Le Portugais Carlos Albert Portugal Correia de Lacerda s'est ainsi constitué une vaste bibliothèque de documents autographiques, avec dédicaces adressées nominativement à lui par tous ces correspondants dont la plupart sont célèbres. Qu'il s'agisse d'Ezra Pound, de Jorge Luis Borges, d'Octavio Paz, d'Yves Bonnefoy, d'Allen Ginsberg ou encore de David Hockney, de Maria Helena Vieira da Silva ou de Marthe Graham, tous se sont fendus d'un mot d'hommage personnalisé, tel Árpád Szenes ayant dessiné son portait avec un mot d'accompagnement.

Au printemps 2011, la Maison des poètes à New York a accueilli cet exceptionnel ensemble de notes et dessins recensés et commentés par son ami et héritier testamentaire Luis Amorim de Sousa, qui avait déjà rédigé le catalogue d'une exposition tenue à Lisbonne en 2010, à la fondation Mario Soares, sous l'intitulé The sea that lies beyond my rocks (Ed. Assirio & Alvim, Porto, 2010), qui comprenait aussi des disques et des affiches.

Certes, Luis Amorim de Sousa parle de collection à propos des objets exposés à New York. Mais peut-on prétendre pour autant qu'Alberto de Lacerda « collectionnait » les autographes ? Les documents autographiques ne résultent-ils pas essentiellement de marques d'admiration et de sympathie manifestées à son égard, de simples échanges épistolaires de mots courtois ?

Arpád Szenes, Portrait d'Alberto de Lacerda, 1971 (doc. Poets House, New York)Ou, plus précisément, s'agirait-il justement d'une vraie collection, vu que les éléments conservés sont imprégnés du souvenir de moments passés ensemble, de rencontres et de conversations orales tenues avec chacun des artistes et des écrivains amis ? Chaque pièce est unique, signée et adressée ; chaque objet est imbibé totalement par les occasions de converser, de s'écrire, tels des Madame de Sévigné modernes.

Lacerda nous met-il sur la piste quand il écrit qu'il envisage un avenir pour les documents qu'il a gardés, rappelant que lors de certains voyages ou déménagements, des pièces se sont fortuitement égarées, à jamais perdues ? Il disait, en cherchant ses mots, qu'il aurait aimé constituer une bibliothèque-musée, un cabinet d'études, un centre de recherche...

En provenance d'un poète manieur de mots, cette hésitation devant le terme désignatif n'est-elle pas hautement révélatrice d'un certain embarras ? Les expressions collection, bibliothèque, mémorial, objets personnels s'entremêlent, augmentant les opportunités de confusion sémantique. Le sens à donner ne s'élève-t-il pas, dans son cas, plus haut encore que la valeur identitaire habituellement conférée à son propriétaire par toute collection?

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