La passion carnivore : l’amour ravageur des livres du docteur Julien Bogousslavsky (Paris, 1955), la démence face à l’art selon Jean Albou (Casablanca, 1957).
Dépenser plus que l’on ne possède
Le beau paradoxe. Voici un éminent neurologue suisse que sa passion de collectionner a rendu totalement malade, à moins que cette dernière en soit simplement le symptôme.
Le docteur Julien BOGOUSSLAVSKY avait été jusqu’à réaliser et à publier en 2005 un catalogue mentionnant quatre-vingts de ses plus précieux ouvrages, parmi lesquels un exemplaire numéroté de La prose du Transsibérien de Blaise CENDRARS illustré par Sonia DELAUNAY, la Chanson complète de Paul ELUARD avec des lithographies de Max ERNST, ainsi que les Poésies de Stéphane MALLARMÉ illustrées par Henri MATISSE.
Paru d’abord sous l’anagramme de Lukas Jesus von Boilgy, l’ouvrage se présente actuellement sous l’intitulé suivant : « De Parallèlement à Chanson complète : peintres, poètes et livres, un âge d’or, 1900-1939, vu à travers quelques exemplaires rares ou précieux , tous ornés d’œuvres originales sur papier –peintures, dessins, collages, photographies – autour du cubisme, surréalisme, et autres ismes », et est repris sous cet intitulé dans le fichier de La Bibliothèque Psychiatrique Universitaire de Lausanne, où le médecin l’avait déposé avant d’être jugé en 2010 pour malversations et détournements.
Mais le prestigieux docteur avait également publié des textes en relation avec sa spécialisation en accidents vasculaires, notamment une étude sur l’aphasie de Baudelaire : de la poésie à l’injure.
Ses publications scientifiques sont très nombreuses et la littérature, comme on l’a vu, n’échappe pas à sa sagacité. Il a d’ailleurs consacré quelques autres écrits à Marcel PROUST et à Charles-Ferdinand RAMUZ.
Dans certains milieux, on n’hésite pas à dire que Julien a de qui ternir. En effet, n’est-il pas le fils de Serge Bogousslavsky, dit « Bog », présenté comme un contrefacteur et parfois même comme un faux monnayeur, en tout cas faussaire et affabulateur, ayant, en 1939, dérobé un tableau célèbre d’Antoine Watteau au Louvre, tableau intitulé L’indifférent ?!
Indifférent, Serge était loin de l’être face aux bijoux et à la monnaie ancienne, tout comme son fils était ivre (selon la formule imagée proposée par Edouard Launet du quotidien Libération) devant les ouvrages poétiques illustrés de la première partie du XXe siècle.
La vente aux enchères d’une partie de ces derniers, en 2006, a rapporté la somme de 4,2 millions d’euros.
Voici donc une affaire Bogousslavsky qui présente d’étranges similitudes avec les témoignages très récents du collectionneur Jean ALBOU, victime de trouble bipolaire, c’est-à-dire de maladie maniaco-dépressive, auteur en 2010, aux éditions de La Martinière, d’un livre au titre non équivoque : « Un fou dans l’art, confession d’un serial collectionneur », capable en quelques mois d’acheter, avec frénésie et souvent sans disposer de moyens financiers suffisants, des œuvres d’art d’artistes réputés, pour un total de près de 10 millions d’euros.
En 2008, son énorme collection a été revendue, comprenant outre des œuvres considérées comme majeures d’artistes de l’école des nouveaux réalistes, tels ARMAN, CÉSAR, Martial RAYSSE, Daniel SPOERRI, des photographies signées par BRASSAÏ, par Robert MAPPLETHORPE, par Willy RONIS ou encore par Sabine WEISS.
Sa biographie indique, ainsi qu’il le raconte dans son livre, que bon nombre d’artistes renommés étaient devenus ses amis et qu’il engagea beaucoup d’échanges avec eux au point même de consacrer un autre ouvrage aux œuvres de César sur base d’une rétrospective organisée par lui (César. L'instinct du fer, 1946-1966. Des premiers fers aux compressions, Musée des Beaux-Arts de Nice, 2002).
Mais la vente aux enchères de 2008 fut loin d’atteindre les montants escomptés – entre 5 et 6 millions d’euros pour les peintures, plus de 600.000 à 800.000 euros pour les photographies – ce qui contribua à entraîner la « chute aux enfers » du collectionneur, jadis conseiller et gestionnaire de fortune d’un des plus riches collectionneurs américains.
Où avons-nous vu qu’il existait des collectionneurs compulsifs ? Devrions-nous plus précisément parler d’une collectionno-addiction ? Faudra-t-il désormais ajouter au binôme bibliophile et bibliomane, les termes de bibliomaniaque et de bibliopathe ? Ai-je bien noté que vous avez dit : collectophile et collectomane, collectomaniaque et collectopathe ?