Edmond Deman (Bruxelles, 1857 - Le Lavandou, 1918)
: bibliophile, libraire-éditeur et collectionneur d'art symboliste de la fin du XIXe siècle
S'il n'avait pas été collectionneur et ami des artistes,
Edmond Deman aurait-il édité et imprimé des livres et des catalogues d'une qualité aussi exceptionnelle ? Aurait-il été un marchand d'art estimé et adulé pour son choix d'œuvres provocantes ? Ou est-ce, au contraire, parce qu'il mettait énormément de soin à typographier et à illustrer ses ouvrages que les artistes sont devenus ses amis et qu'il s'est mis à collectionner les œuvres que ceux-ci lui apportaient ?
L'univers d'Edmond Deman renvoie au symbolisme belge, et à ses expressions les plus marquantes et les plus significatives, à la fois par le choix des écrivains qu'il publia, notamment Maurice Maeterlinck, Emile Verhaeren, Stéphane Mallarmé, Léon Bloy, Fernand Crommelynck, mais aussi par les frontispices, les culs de lampe et les ornements qu'il demanda d'exécuter à des artistes représentant les divers courants de l'époque. Sa promotion des tendances de l'art les plus progressistes d'alors est notoire et incommensurable.
Celui qui fut un proche, et parfois un ami quasi intime, de Félicien Rops, de Léon Spilliaert, de Fernand Knopff ou encore de Théo Van Rysselberghe, de Georges Minne, d'Odilon Redon et de Charles Doudelet, contribua à les faire davantage connaître en utilisant tous les moyens disponibles, qu'il s'agisse d'expositions dans son cabinet, de salons littéraires et artistiques, de projets de grandes expositions (notamment sur l'œuvre de Félicien Rops), de publications diverses ou de conférences.
Peut-on parler d'un homme de goût ? Assurément, il s'agit d'une personnalité qui vécut pleinement avec une époque marquée par le bouillonnement des arts et des lettres et qui est parvenu à faire connaître cet univers en effervescence, en le pressentant, en le devinant et en le devançant.
À regarder rétrospectivement l'œuvre totale et cohérente d'Edmond Deman, n'est-on pas frappé par une sorte de rage divinatoire qui caractérise l'homme de goût, même si celle-ci est tempérée par le caractère intime, discret, feutré que l'on peut deviner dans son cabinet d'estampes ? N'y a-t-il pas là des relents de religiosité non seulement face aux œuvres d'art, mais également dans les thèmes représentés, aussi sulfureux et laïcs ces derniers soient-ils ?
Le collectionneur peut-il se dissimuler face à sa collection ? Ou, au contraire, celle-ci agit-elle comme le miroir amplificateur de ses obsessions, de ses désirs et de ses souhaits ? Deman paraît un parfait spécimen de cette interrogation.
Dans une pointe sèche réalisée en 1908, Léon Spilliaert rend hommage à son flair et à sa présence particulièrement élevée puisqu'il a profondément marqué de son empreinte l'univers artistique et littéraire de l'époque. Alors qu'apparaissent quatre visages sur la pointe sèche, la légende mentionne
« Portrait d'Emile Verhaeren, Léon Spilliaert et Edmond Deman ». Peut-on imaginer que le quatrième personnage dont les traits semblent seulement esquissés soit un anonyme ?
À bien y regarder, on se rend compte qu'Emile Verhaeren est représenté deux fois. Ainsi que l'écrit Xavier Tricot dans une des monographies qu'il consacra au peintre,
« Spilliaert, de trois quarts et à gauche de la composition, est confronté au poète, vu de profil. En filigrane, nous remarquons, à gauche, le portrait d'Edmond Deman et au centre, à nouveau Verhaeren, cette fois-ci vu de face. Dans cette œuvre, Spilliaert réunit les deux personnes qui, à cette époque de sa vie, l'ont le plus marqué » (Xavier Tricot,
Léon Spilliaert. Les années 1900-1915, Snoeck-Ducaju et fils, Pandora, Gand, 1996, p. 60).
Edmond Deman est bien présent, montré de face, accompagnant, un peu retranché derrière eux, l'homme de plume et l'homme de pinceau. Représenté de façon saisissante, à la manière d'une apparition. Comme une image de passeur, de gardien, et plus exactement dans son cas, de devin.