François Pinault (Les Champs-Géraux, Côtes d’Armor, Bretagne, 1936 – vit entre Paris et Venise): un être possédé par l'art
La curiosité pour l'art contemporain
L'homme qu'on prétend maussade et réservé, comme tout Breton, est avant tout un passionné, voire un possédé.
En 2001, il a abandonné ses affaires au profit de son fils François-Henri Pinault, pour se consacrer exclusivement à ses collections et il est dit qu'il se comporte depuis lors en tout grand connaisseur et amateur d'art, surtout préoccupé de l'extension et du développement de ses trésors dans ses deux acquisitions immobilières de la superbe et non moins mystérieuse cité des Doges. Il a confié la rénovation du Palais ayant appartenu à la famille Grassi puis au groupe Fiat ainsi que celle de la Punta della Dogana à l'architecte japonais Tadao Ando, dans lesquels celui-ci a agi avec discrétion.
Ce qui a permis aux œuvres d'art du collectionneur français d'être pleinement mises en valeur, qu'il s'agisse d'art minimaliste ou post-minimaliste, d'Arte povera ou encore d'œuvres d'artistes vedettes du nom de Charles Ray, Paul McCarthy, Takashi Murakami, Jeff Koons, Damien Hirst, Mauricio Cattelan, Robert Ryman et bien d'autres sculpteurs ou peintres contemporains. En outre, à côté des installations, des sculptures et des peintures, les deux musées de Venise confèrent une large place à la photographie, au cinéma, à la vidéo et de manière générale à l'image et à la lumière. En plus du danois Olafur Eliasson qui a contribué à l'aménagement du Palais Grassi, font ainsi partie de ses acquisitions artistiques, des œuvres de personnalités tels Bill Viola, Douglas Gordon ou encore Cindy Sherman, aux côtés de vidéastes coréens, iraniens ou algériens. Les œuvres de grande taille semblent privilégiées. Les talents en matière de muséologie moderne sont unanimement reconnus et certains prétendent que cette collection fait partie des plus impressionnantes dans le monde.
Les combats de cet homme taciturne ont fait la une des médias, qu'il s'agisse des pourparlers de rachat des anciennes usines Renault sur l'île Seguin à Boulogne-Billancourt, qui ont échoué, ou de sa compétition avec la fondation Guggenheim pour obtenir les bâtiments de l'ancienne douane de Venise.
Le milliardaire ne préfère-t-il pas aujourd'hui être présenté comme un maître es arts plutôt qu'en tant qu'ancien président du groupe PPR Pinault-Printemps-Redoute et acheteur d'entreprises parmi lesquelles figurent Conforama, la Fnac, Gucci ou encore bien entendu La Redoute et Le Printemps !
Cette question de la réputation le travaille très fort.
Dès lors, il n'est pas étonnant qu'aujourd'hui la figure de François Pinault soit largement présentée comme celle d'un
primus inter pares parmi l'ensemble des collectionneurs d'art les plus influents. Les magazines américain ARTnews et anglais Art Review lui ont conféré respectivement la toute première place sur les 35 personnes les plus influentes du monde de l'art et la toute première position sur 12 !
S'interrogeant sur les raisons de cette primauté, Danièle Granet et Catherine Lamour dressent l'hypothèse que celle-ci résulte du double statut du méga collectionneur français, simultanément grand amasseur d'art et actionnaire de la prestigieuse salle de vente Christie's. Les auteures soulignent en effet que ni ses deux musées vénitiens, ni les objets collectionnés ne dépassent en valeurs, financières comme esthétiques, celles de quelques autres collectionneurs milliardaires. Mais selon elles, la valeur ajoutée par Christie's est incommensurable en quantité et en qualité d'informations.
« L'information est stratégique dans l'univers des grands collectionneurs mondiaux, puisque tous cherchent la même chose : les œuvres de référence des artistes établis ou de ceux qui sont en passe de l'être. Tous veulent savoir quel artiste va devenir tendance. Savoir où se trouvent les meilleures œuvres des artistes à succès. Savoir qui sera vendeur ou acheteur. Tous sont aux aguets. » (Danièle Granet et Catherine Lamour,
Grands et petits secrets du monde de l'art, Fayard, Paris, 2010, p. 71).
Mais il y a plus. François Pinault s'engage dans l'art dont il admire la vocation sacrée, car celui-ci lui fournit une belle introduction pour entrer de plain-pied dans un univers non matérialiste qui le ravit et qui agit en compensation de ses actions d'homme d'affaires avisé. Certaines des pièces qu'il collectionne ne visent-elles pas le dépouillement et le minimalisme ! Ce sont celles qu'il dit affectionner le plus. Ainsi, lors d'une interview en juin 2011 ne déclarait-il pas au magazine mensuel La Revue:
« La passion pour l'art est, comme pour les croyants, très religieuse. L'art unit les gens, son message est d'une humanité naturelle. Comme d'autres prient à l'église, l'art est devenu ma religion. C'est une banalité, mais vous ne possédez pas l'art, il vous possède. C'est comme tomber amoureux ».
Question de réputation ou réel amour passionné pour l'art ? Comment répondre quand on est d'un naturel taciturne?