David Walsh (Tasmanie, 1961 – vit en Australie),
parier et collectionner peuvent-ils cohabiter ?
Un parieur invétéré
En ouvrant en Tasmanie, en 2011, le MONA,
Museum of Old and New Art, le collectionneur australien
David Walsh a voulu créer, selon ses propres termes un
Disneyland subversif pour adultes. S’y trouvent rassemblées des œuvres qui traitent de sexe, de mort et de scatologie. Comme on peut s’y attendre, Wim Delvoye y fait bonne figure avec ses installations
Cloaca, de même que Damien Hirst, Jannis Kounellis et Anselm Kieffer, et ceci aux côtés de momies égyptiennes.
Mais si l’Australien s’est fait connaître du public européen, c’est davantage en tant que gros parieur, grand joueur devant l’éternel, devenu interdit de casino à vie dans son pays. Aux courses de chevaux, comme jadis au casino, il gagne en effet « à tous les coups », … ou presque.
Il a proposé à l’artiste français
Christian Boltanski (né en 1944) un pari sous forme de viager. Bien entendu, l’objet de celui-ci est de nature financière. L’œuvre consiste en l’enregistrement 24 h / 24, par trois webcams, des faits et gestes du plasticien français dans son atelier de Malakoff, près de Paris. Un visionnement quasi simultané est opéré sur neuf moniteurs dans une des salles d’accès du MONA. Une autre version de ce pari prétend que les images filmées de Boltanski sont enregistrées sur DVD dans une caverne de Tasmanie et ne seront montrées qu’après sa mort.
Le viager a débuté en novembre 2009 pour une période de huit années. Si celle-ci est dépassée, Boltanski en sortira gagnant, mais le Tasmanien, qui possède une force de calcul éblouissante, prétend que jusqu’à présent, il n’a jamais perdu au jeu.
|
Christian Boltanski (photo © Didier Plowy) |
Christian Boltanski est lui-même joueur invétéré. N’a-t-il pas intitulé
Chance son installation à la Biennale de Venise de 2011 ? Le principe de celle-ci ne repose-t-il pas sur les jeux de loterie ? Dès lors, il n’a pas hésité à relever le pari. D’autant plus que toute son œuvre converge elle aussi vers la conservation des traces de vie et vers la lutte contre toute mort et contre tout oubli. Dans le pavillon français des Giardini, durant la Biennale, le nombre de naissances et le nombre de décès étaient affichés en temps réel.
Les visages de soixante nouveaux nés se mêlaient sans cesse à ceux de cinquante-deux Suisses décédés. Le visiteur qui, en arrêtant le défilement des images, reconstituait le visage d’un des bébés, était déclaré gagnant et pouvait repartir avec la photo ainsi constituée. Celui qui achetait le catalogue de
Chance était également susceptible de gagner. Une centaine d’exemplaires furent en effet exclusivement composés de pages blanches… Mais celui qui ramènera chez lui un de ces exemplaires vierges aura la chance d’y trouver une petite photo découpée et collée. «
Ce sera un collector, en fait…», déclare l’artiste français.
Quant à l’enregistrement de battements du cœur de 40.000 personnes anonymes réalisé par Christian Boltanski depuis 2005, c’est un collectionneur japonais du nom de
Soichiro Fukutake (né en 1945) qui les fera écouter sur l’île de Teshima.
|
Soichiro Fukutake |
Admirateur de Claude Monet – il a notamment hérité de cinq gigantesques
Nymphéas –, ce collectionneur a pris l’habitude d’organiser des rencontres entre les paysans de l’endroit et des artistes reconnus, en vue de mener des actions visant à préserver la nature. Là aussi, la machine à parier semble en marche… pour un monde meilleur.
À propos de Fukutake, comme de Walsh, Christian Boltanski parle de «
collectionneurs utopistes ». Serait-ce significatif ?
|
Mona (Museum of Old and New Art) |