Herman Daled (Bruges, 1930 – vit à Bruxelles)
et Nicole Verstraeten (vit à Bruxelles) : une collection privée qui frôle l'invisibilité
Animer les milieux artistiques
Il existe une règle tacite selon laquelle la visibilité des collectionneurs s'accroît fortement lors de la vente – ou de la donation – de la totalité des œuvres qu'ils ont collectées. Qu'il s'agisse de vente aux enchères ou de négociations avec un musée, peu importe ! Attentifs à tout soubresaut de l'actualité, les médias s'en emparent en y faisant tout aussitôt écho et en augmentant considérablement la notoriété des collectionneurs qu'ils mettent en vedette.
Herman Daled, un des importants collectionneurs belges, n'échappe pas à la règle : pendant longtemps inconnu – notamment à l'époque où, avec sa femme Nicole, il achetait des Marcel Broothaers –, puis, dès les débuts du XXIe siècle, davantage cité au-delà du cercle des initiés et surtout mis au pinacle depuis la vente de plus de 200 œuvres au MOMA, moment où il fait quasiment la une des quotidiens et des magazines de masse.
Serait-ce parce que sa collection s'échappe du pays ? La Belgique serait-elle devenue particulièrement chatouilleuse depuis le départ irrévocable du fameux tableau dénommé
L'entrée du Christ à Bruxelles de James Ensor ? À ce propos, on se contentera ici de relever que les responsables des musées et de la politique culturelle belges n'ont guère manifesté d'enthousiasme, ni même du moindre intérêt face à sa collection, contrairement à leurs collègues de Francfort, de Lisbonne, de Mexico et de Chicago. Sans manifester de souci, ils ont laissé la collection rejoindre en 2011 le MOMA, le prestigieux Museum of Modern Art de New York.
Serait-ce parce que ce collectionneur serait particulièrement atypique ? Ou au contraire parce qu'il est totalement représentatif des transformations en profondeur qui affectent le secteur de l'art ? N'est-il pas de plus en plus vrai que les collectionneurs sont devenus les témoins privilégiés de celui-ci ? Et parfois, comme c'est le cas d'Herman Daled, ils apparaissent comme des innovateurs ou des soutiens à l'innovation et à la créativité. Daled n'a-t-il passé son temps libre à encourager des artistes considérés comme marginaux ou provocateurs à l'époque où ils exécutaient leurs œuvres ?
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M. Broodthaers, Caquelon de Moules, 1968. Mixed media, Daled Collection © VG Bild-Kunst, Bonn |
Dans les années 1960-1970, il a fait le choix difficile de s'enthousiasmer – intellectuellement – pour une génération d'artistes, pré- et post- soixante-huitards qui se tenaient en marge et « ruaient dans les brancards ». Pas nécessairement chez lui de volonté de jouir des œuvres, mais bien de les apprivoiser, de s'en nourrir et de les approfondir. Les pièces qu'il accumulait ne se complétaient-elles pas par un lot énorme de documents de tous types: fiches, lettres, notes, extraits d'interviews, dossiers de presse...?
De là son rejet du terme de « collectionneur », que Joachim Olander a bien relayé dans le film intitulé
La Collection qui n'existait pas, qu'il a réalisé en 2014.
Feignant quelque modestie, Daled déclare lors d'interviews,
« longtemps j'ai accumulé, sans même savoir exactement ce que je possédais » (
Le Soir, 17 juin 2011). Or, en plus de 80 Broodthaers, ses œuvres portaient essentiellement sur l'art conceptuel américain et européen des années 1965 à 1979, dont des Daniel Buren, Dan Graham, Sol LeWitty, Lee Byars, Niele Torini, Lawrence Weiner, Cy Twombly... Au total une quinzaine d'artistes dont il déclare qu'ils ont profondément changé la perception artistique en amenant la photographie, les installations et la vidéo à avoir droit de cité.
Déjà, lors d'une exposition à Munich, ses œuvres avaient fait l'objet d'un magnifique catalogue sous la direction de Chris Dercon, à l'époque directeur de la Maison des Arts de Munich, avant de rejoindre la Tate Modern de Londres, comme directeur (
A Bit of Matter and a Little Bit More: The Collection and Archives of Herman and Nicole Daled, 1966-1978).
En fait, le collectionneur se voit surtout soulagé de pouvoir donner la meilleure pérennité et le meilleur usage possibles aux œuvres dont il s'est entiché, sans devoir confier à sa progéniture un héritage pesant et encombrant.
L'ex-radiologue qu'il fut reste pleinement actif dans le monde de l'art et patronne aujourd'hui des artistes difficiles qu'accueillent et qu'exposent le Centre d'Art Contemporain de Bruxelles, dénommé
« le Wiels », à cause de ses antécédents de brasserie (la
Wiel's était une bière bruxelloise très connue en Belgique, brassée par Wielemans-Ceuppens), et le Center for Arts and Media Argos, particulièrement attentif à la vidéo, aux techniques cinématographiques, aux installations multimédia et à la photographie. Financé par les instances gouvernementales flamandes et par la Ville de Bruxelles,
Argos remplit en Belgique un rôle quelque peu similaire à celui de la
Fondation Cartier à Paris et publie un magazine trimestriel simplement dénommé
Argosmagazine.
Convient-il d'ajouter qu'Herman Daled préside à la destinée de chacun de ces lieux ?
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A Bit of Matter and a Little Bit More, The Collection and Archives of H. & N. Daled 1966-1978, by W. König |