L'homme aux quinze musées privés, Reinhold Würth (Ohringen, Württenberg, 1935 – vit à Künzelsau)

Dans son projet d'envelopper le monde, Christo n'y va pas par quatre chemins. Ne se contentant pas d'avoir emballé le Reichstag et recouvert le pont Neuf de Paris d'une immense toile plissée, il a réalisé des mégaprojets technologiques et logistiques encore plus ambitieux : large voile de nylon s'étalant sur 37 km en Californie, parapluies colorés dans deux vallées, l'une en l'Amérique et l'autre au Japon, ou encore création d'un ponton en tissu jaune sur le lac d'Iseo en Italie, reliant les îles de Monte Isola et de San Paolo aux villages de la rive. Plus d'un million de personnes ont ainsi parcouru en été 2015 un chemin flottant de 3 km de long maintenu à flot durant une quinzaine de jours. L'ensemble des œuvres du couple dit Christo, inscrites dans l'espace naturel ou urbain, connaissent une énorme visibilité d'autant plus qu'elles sont toujours vivement colorées et largement médiatisées.

Moins connues sont les réalisations opérées par lui d'emballage de bâtiments de l'intérieur, qu'il s'agisse d'un palais, projet réalisé à Turin, voire même d'un musée tout entier. À chaque fois, Christo réussit à couvrir de tissus l'ensemble des fenêtres et des murs et à envelopper de draps les escaliers et tout ce que les étages comportent de matériels fixes.

Le grand collectionneur allemand Reinhold Würth en a fait les frais. Proposant à l'artiste d'exposer une rétrospective de ses œuvres, il s'est retrouvé avec un musée entièrement couvert de drapages, dans lesquels ont pu se mouvoir les membres du personnel et les clients de son groupe industriel de matériel de fixation et d'emballage, ainsi qu'un public de visiteurs.

Dans le monde des collectionneurs, Reinold Würth n'est pas un inconnu. Ce « roi de la quincaillerie » a non seulement réuni une méga collection de quelque 17.000 œuvres d'art, mais en plus il peut se flatter d'avoir ouvert dans une dizaine de pays européens une quinzaine de musées.
De ce fait, il se voit sacré responsable du plus grand nombre de musées privés de toute l'Europe. Certes, sous la houlette du groupe holding Adolf Würth GmbH & Co, certains de ceux-ci sont des halls ou des foyers dans lesquels les œuvres sont exposées selon un principe de circulation tournante, mais d'autres bâtiments constituent de véritables centres culturels, proposant outre des expositions diverses, des concerts, des pièces de théâtre et des conférences.
Et Reinold Würth peut s'enorgueillir de posséder trois vrais musées, un en Allemagne, un en Alsace et un à La Rioja en Espagne.
Collection privée d'une personne éprise d'art, la collection Würth se présente également comme une collection de famille et comme une collection d'entreprise. Il y est aussi question d'une fondation Würth.
À chaque fois, les lieux d'exposition voisinent avec les bâtiments opérationnels de la firme aux 400 filiales et aux quelque 65.000 membres du personnel, ou sont intégrés à ceux-ci.

Dans les différents espaces d'exposition et parcs adjacents des bâtiments Würth s'étalent ainsi des œuvres de Max Ernst, de Pablo Picasso, de Gerhart Richter, d'Edvard Munch, de René Magritte, d'Anselm Kieffer, de David Hockney, d'Eduardo Chillida et de tant d'autres, parmi lesquels Christo. Reinhold Würth a aussi acquis des œuvres de maîtres anciens – notamment Lucas Cranach l'Ancien et Hans Holbein le Jeune – et des séries plus étonnantes, telles les 250 aquarelles italiennes de grand format dites Cantastorie .

On doit à l'espace muséal sis à Künzelsau, qui est le siège principal des entreprises Würth, d'avoir été le lieu d'accueil de la méga manifestation d'emballage du couple de plasticiens. C'était dans les années 1994-95. Depuis lors, Christo a continué à rêver à ses projets et à les concrétiser. Une trentaine d'entre eux, imaginés par l'artiste d'origine bulgare et sa femme Jeanne-Claude, restent en suspens. Avec le Mastaba exposé actuellement dans la Cour Giacometti de la Fondation Maeght, 23 projets ont été réalisés.
Dans le même temps, Christo a réussi à modifier les regards sur l'art et ses environnements et à instaurer de nouvelles relations entre artiste et collectionneurs. Vu le caractère éphémère des créations, ceux-ci ne peuvent conserver que les esquisses, les dessins préparatoires, les photos, les minces traces de ce qui fut opéré pour eux ou pour le grand public. L'emballage interne du musée Würth de Künzelsau n'est plus aujourd'hui qu'un vague souvenir, celui d'une expérience vécue par le collectionneur, le personnel de ses entreprises, les clients et les visiteurs, sous forme d'une participation à déambuler dans les voiles et tentures chargées d'empaqueter son contenu tout entier.