anneaux
bloc-notes d’Axel Gryspeerdt
logo
logo
Serge Zeyons (vit en France),
une tranche d’histoire sociale à partir de cartes postales illustrées.
Serge Zeyons
Faire revivre les années 1900
Tout compte fait, malgré les importants travaux de Krysztof Pomian ou de Francis Haskell, rares sont les historiens qui se sont intéressés aux collectionneurs privés au point de réaliser des ouvrages de fond sur leurs passions.

Si bon nombre de gestionnaires de musées ont acquis une formation d’historien, ils excellent souvent davantage dans la réalisation de catalogues – notamment les fameux catalogues raisonnés – que dans la rédaction d’ouvrages dont la vocation serait d’expliciter le passé. Or, on le sait, collection et histoire sont indissociablement liées, les collections ayant avant tout une fonction de sauvegarde du patrimoine.

Combien d’objets, de tous types, n’auraient-ils pas disparu si un quelconque collectionneur ne s’était pas mis en tête de le garder à l’abri des jeteurs de toutes sortes ? Et par la même occasion, combien de tranches du passé n’auraient-elles pas été délaissées, chaque objet renvoyant à son contexte historique ? On ne s’étonnera pas trop, dès lors, de ne guère découvrir de mémoires ou de thèses en histoire basés sur la marotte des collectionneurs, même s’il arrive dans le domaine de l’histoire de l’art de trouver quelques contre-exemples. Mais, de manière générale, les faits d’histoire analysés à partir des objets collectionnés ne sont pas légion.

Une exception notoire réside incontestablement dans la cartophilie, plusieurs cartophiles s’étant essayés, à partir de leurs collections, le plus souvent de type thématique, de creuser un aspect du passé. L’importance des documents iconiques pour comprendre le passé n’est certes pas innocente et elle est susceptible d’éclairer largement les faits et gestes du passé, sur base d’une méthodologie rigoureuse.

Ainsi, sans nécessairement être historiens de formation, certains collectionneurs de cartes postales, chroniqueurs ou journalistes de profession ont-ils commencé à développer une sensibilité face aux questions sociales du passé.

Serge Zeyons fait immanquablement partie de cette dernière catégorie, lui qui a consacré des écrits tantôt à la pratique de la carte postale sous tous ses aspects (voir entre autres Les Cartes postales. Le Manuel de l’amateur, Hachette, 1979), tantôt à l’histoire sociale, notamment ouvrière, vue par la lorgnette de photographies mises dans le format standardisé des cartes postales.

Serge Zeyons - Les cartes postales Serge Zeyons - Sorties d'usines en cartes postales

Son ouvrage Sorties d’usines en cartes postales (Editions de l’Atelier / Editions Ouvrières, Paris, 1997) est déjà explicite dans son intitulé. Il s’agit de donner à comprendre les contraintes et les joies du travail industriel sous toutes ses facettes, à partir de la représentation en cartes postales des travailleurs face à leur lieu de travail. Ce qui allait être considéré comme un des films inaugurant l’histoire du cinéma, à savoir La Sortie de l’usine Lumière à Lyon, tourné en 1895, semble avoir été à l’origine du développement d’un nouveau genre de prises en photographies dont il s’inspirait déjà et l’occasion de mises en cartes postales statiques traduisant l’instantanéité des gestes et des démarches. Ainsi à l’époque, ont circulé des milliers de cartes postales illustrées dont le sujet principal est le travail industriel. Celles-ci sont susceptibles de fournir une mine très précieuse pour ceux qui souhaitent écrire une tranche de l’histoire sociale.

Toutes les cartes se présentent en effet sous au moins trois aspects : l’aspect d’un objet, tout d’abord, objet obéissant aux règles de la production et de la diffusion ; ensuite, l’aspect d’un outil correspondant notamment à un moyen d’expression ; et, enfin, l’aspect d’une trace présentant un intérêt et une nature documentaires, donnant possibilité à l’historien de l’exploiter dans des projets de connaissance.
Un des rares mémoires d’étudiants de licence ne s’intitule-t-il pas, de manière très explicite, « Un document de collection et d’histoire : la carte postale illustrée 1900-1920 » (rédigé en 1992 par Françoise Coutelier, UCL, FLTR) ?

La période relevée est d’autant plus fertile que plusieurs ouvrages, notamment rédigés par Serge Zeyons, vont être consacrés à cet objet, qu’il s’agisse par exemple de La France paysanne (Serge Zeyons, Ed. Larousse, Paris, 1992) ou de La Femme en 1990 (Serge Zeyons, Ed. Larousse, Paris, 1994). Chacun de ces deux ouvrages étant sous-titré Les Années 1900 par la carte postale. Peut aussi être cité Le Roman-photo de la Grande Guerre, sous-titré La Grande Guerre 1914-1918 en 330 cartes postales (même auteur, Ed. Pierre de Meyere, Bruxelles, 1976, et Ed. Hier et demain, Paris, 1976).

Serge Zeyons - La Femme en 1900 Serge Zeyons - Le Roman-photo de la Grande Guerre

Le but est à chaque fois de tirer la substantifique moelle des illustrations pour recomposer le contexte et se prononcer sur les expériences et les conditions de vie de l’époque relatée. D’examiner aussi la manière dont les personnes concernées, femmes, travailleurs, agriculteurs et agricultrices se donnaient à voir dans des présentations d’elles-mêmes, prises collectivement ou individuellement.

Paul Virilio ira-t-il plus loin en 2002 quand l’envie lui viendra de se préoccuper de Ce qui arrive à partir d’un matériel mixte photographique et filmique sur ce qu’il appelle les accidents du siècle (l’exposition s’est tenue à la Fondation Cartier, à Paris) ?

Paul Virilio - Ce qui arrive Serge Zeyons - L'événement

Quatre ans plus tard, le Jeu de Paume confiera à Michel Poivert et à une équipe de cinq commissaires le soin de s’interroger sur L’Événement à partir d’affiches, d’illustrations de presse, de fragments photographiques divers, de bandes d’actualités, de diaporamas, de lithographies et également de cartes postales, dans le but de nous aider à comprendre comment les images construisent la perception de leurs contemporains. Sous-intitulée « les images comme acteurs de l’histoire », l’exposition narrait cinq domaines principaux, de la conquête de l’air à la chute du mur de Berlin, en passant par les congés payés.

Mais la carte illustrée se prêtant à mille usages, d’autres préfèrent développer les fonctions affectives, émotives et expressives, incorporant les cartes postales historiques dans leur projet bibliographique, qu’il s’agisse de représenter autrui ou de se présenter soi-même.
La carte postale illustrée rejoint en cela l’album de famille, la boîte aux chromos, le pêle-mêle photographique, à savoir une série d’objets de plus en plus censés figurer eux-mêmes parmi les vestiges du passé.
© 2012 collectiana.org - Fondation d'utilité publique - bloc-notes d’Axel Gryspeerdt - Tous droits réservés
ombre