Daniel Cordier (Bordeaux, 1920 – vit à Toulouse),
ou l’émotion procurée par des objets hétéroclites aux formes élémentaires.
Des objets hétéroclites, susceptibles de procurer une émotion forte.
De toutes les collections possédées par Daniel Cordier, la plus prenante est celle qui est composée par des objets les plus divers aux formes élémentaires et épurées, objets venant d’origines diverses. Daniel Cordier réussit, aidé en cela par la magie de la présentation muséale et orale, à en faire des objets à forte émotion et à profond impact.
Qu’il s’agisse d’objets de portage chinois, de poteaux touareg, de lances des îles du Pacifique, d’urnes funéraires, de sacs ou de boucliers africains, ou de chapeaux zoulous, ou encore de greniers à grains indiens qui ne sont autres au départ que des troncs d’arbres, voire même de concrétions naturelles autour d’un geyser, chacun de ces objets nous touche – et le touche profondément – par ses formes épurées, par la qualité de sa matière et par l’effet du temps qui lui confère une patine toute particulière.
L’ancien secrétaire de Jean Moulin, initié à l’art par celui-ci, insiste sur la profonde ambiguïté, l’ambivalence, le caractère saugrenu de ces objets. Quand ils sont disposés avec un soin théâtral dans une salle d’exposition, il devient difficile de les distinguer d’œuvres d’art contemporain : même dépouillement, même épure, même sollicitation esthétique. Ces objets ont reçu, en eux-mêmes et par eux-mêmes, la force de leur beauté liée à leurs formes, leur matière, leur concrétion du passé. Comme n’hésite pas à le dire Daniel Cordier, ils nous procurent une certaine jouissance,
«ils nous font jouir». Ce qui est pour lui le propre de l’art et qui l’a convaincu de devenir un grand collectionneur.
S’il chérit tout particulièrement cette collection non figurative, il n’en est pas moins admirateur d’œuvres produites par des artistes devenus célèbres. Pour lui, l’émotion prédomine à toute origine, à toute signature : le besoin de retrouver les mêmes sensations qu’il eut naguère en face d’un Goya au Prado, ou d’un dessin d’Henri Michaux chez un galeriste.
Ainsi possède-t-il entre autres des œuvres de Nicolas de Staël, de Mondrian, de Soutine, de Braque, de Rouault, de Takis, de Chaissac, d’Hundertwasser, parmi un lot d’autres artistes.
Aujourd’hui,
patiné lui-même par le temps, comme les objets qu’il aime, il continue à savourer et à chérir les objets qui lui ont procuré tant de plaisir.
Sans cesse, il plaide pour une fusion affective et pour une communion sensuelle avec les œuvres sources d’émotion esthétique.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, c’est bien la réunion amoureuse avec les objets, la véritable
fornication avec eux, le goût que l’on a pour eux qui est déterminant ; pas la connaissance, ni l’approche intellectuelle ; le raffinement et la poésie des objets qui exercent sur lui une haute fascination.
Ce raffinement et cette poésie émaneraient-ils des objets eux-mêmes ou ne proviendraient-ils pas plutôt de son œil, de son regard, de son innocence naturelle ?
À cet égard, le disciple de Jean Moulin exprime bien des réserves, rappelant qu’il est surtout un collectionneur et pas seulement un amateur d’art :
«il ne suffit pas de voir, mais j’ai besoin de posséder les objets pour les voir et pour avoir un rapport personnel avec eux». «Je dois les posséder, comme on désire posséder ce qui nous attire par l’émotion». Et ajoute-t-il, sur un ton condescendant :
«l’avantage des objets, c’est qu’ils ne savent pas se défendre !».