anneaux
bloc-notes d’Axel Gryspeerdt
logo
logo
Rodolphe II de Habsbourg (Vienne, 1552 - Prague, 1612),
empereur du Saint-Empire, là où la collection converge vers l'alchimie, l'astrologie et l'ésotérisme.
Rodolphe II par Martino Rota. Galerie Dorotheum
Des objets et un personnage inquiétants
Souhaitait-il nous faire peur ou se faire peur à lui-même ?

Tout en exerçant une étrange fascination, et sans doute pour cette même raison, le personnage était et reste particulièrement inquiétant. Non seulement par les guerres qu'il mena – au nom de la religion catholique –, par son caractère – aujourd'hui, on parlerait probablement de trouble bipolaire – mais aussi par la nature de ses collections.

Ne vécut-il pas à cheval sur le XVIe et le XVIIe siècles, bourré de croyances et terriblement attiré par l'astrologie et l'ésotérisme ? Ne parle-t-on pas de lui comme de « l'empereur des alchimistes, des chiromanciens et des nécromants » (Jacqueline Dauxois, L'empereur des alchimistes. Rodolphe II de Habsbourg, Ed. Jean-Claude Lattès, Paris, 1996, p. 11), lui qui eut pour médecin Michael Maïer, entre autres auteur de « Arcana arcanissima » ?

Avant même d'avoir imaginé quelque musée de la terreur ou de la monstruosité, Rodolphe II recherchait l'étrangeté et il constituait une série de cellules ou de cabinets dits secrets, remplis d'armes et d'instruments divers, de curiosa et d'automates, de toiles de maîtres – surtout de ceux qui entraînent avec eux une réputation sulfureuse, comme Le Caravage –, d'objets de divination et de chimères. Il savait que Prague, à l'atmosphère magique, voire magnétique, était la ville où fut inventé le Golem !

Diane sur un Centaure, Melchior Mair, 1605 (automate)
Diane sur un Centaure, Melchior Mair,
1605 (automate)

Lukas Imbert a magnifiquement évoqué les mystères, les secrets et les trésors de Rodolphe II, en révélant l'existence d'une salle des abominations et d'autres salles totalement enrobées de secrets. Ainsi, dans Les Mystères de la Ruelle d'Or – terme désignant la petite rue de maisonnettes prétendument habitées à l'époque par des alchimistes, ruelle qui longe le château de Prague –, il parle explicitement de salles dissimulées, d'objets dérobés et de symboles envoûteurs. Il y fait également référence à l'admiration que portait ce Habsbourg à des artistes et à des hommes de science.
Parmi ceux-ci figuraient des gens bien étranges. Notamment, Giuseppe Arcimboldo, qui fit son portrait, le présentant difforme, composé de fleurs et de fruits, selon son style pictural bien connu de têtes composées, mêlant la caricature et la créativité agraire. Mais aussi d'autres artistes, alchimistes et scientifiques qu'il protégea et soutint financièrement, notamment Hans von Aachen et Bartholomeus Spranger, né à Anvers et décédé à Prague, ainsi que Tycho Brahe et Johannes Kepler.

Portrait de Rodolphe II en Vertumne, Giuseppe Arcimboldo, 1591 Buste de Rodolphe II, Adrien de Vies, 1603
Portrait de Rodolphe II en Vertumne,
Giuseppe Arcimboldo, 1591
Buste de Rodolphe II, Adrien de Vies, 1603
Le cabinet de curiosités de Rodolphe II, qui faisait son orgueil, fut parfois considéré comme le plus beau des musées privés existant à l'époque en Europe. Un inventaire de ses collections d'art, composé notamment de précieuses miniatures, fut réalisé entre 1607 et 1611.
« On recense alors trois mille tableaux, des Michel-Ange, Léonard de Vinci, Raphaël, Giorgione, Dürer, Holbein, Cranach, Brueghel, Titien, Tintoret, Véronèse, Rubens, deux mille cinq cents sculptures,… ». « … mais aussi bijoux, vaisselle, armes, instruments de mesure, sphères, curiosités. » (Jacqueline Dauxois, op. cit., p. 18). Ou encore « moulages de lézard en plâtre, bêtes en argent, carapaces de tortues, nacres, noix de coco, poupées de cire coloriées, figurines égyptiennes d'argile, miroirs de verre et d'acier, lunettes, coraux, boîtes, plumes éclatantes, vases, torse de femme en plâtre couleur chair, échiquiers d'ambre et d'ivoire, crâne, calices d'or, … » (idem, p. 214).

Vénus et Adonis, Bartholomäus Spranger
Vénus et Adonis, Bartholomäus Spranger
Coupe (dragon), Gasparo Miseroni, vers 1565-1570 Coupe (Oeuf d'autruche), Clement Kicklinger, vers 1570-1575) Aiguière en noix des Seychelles, Anton Schweinberger, 1602
Coupe (dragon), Gasparo Miseroni,
vers 1565-1570
Coupe (Oeuf d'autruche),
Clement Kicklinger, vers 1570-1575)
Aiguière en noix des Seychelles,
Anton Schweinberger, 1602
Objets auxquels il conviendrait d'ajouter bon nombre d'êtres hybrides et anormaux, notamment bicéphales : cailles à trois pattes, pigeons à deux têtes, lièvres mal formés, ossements et squelettes divers, dragons, bézoards, dont certains sont sertis… Le musée universel de Rodolphe II ne s'accompagnait-il pas en effet d'une ménagerie, au départ constituée à Vienne, remplie d'animaux considérés comme exotiques, insolites ou fabuleux à l'époque !

Certaines des œuvres qui l'avaient accompagné de Vienne à Prague, sont actuellement visibles à la Bibliothèque nationale à Vienne. Mais la plupart d'entre elles ont disparu ou ont été dispersées à Dresde, Berlin, Munich, Cracovie et Stockholm.

L'éditeur Citadelles a publié en 1990 un superbe livre illustré, intitulé Le bestiaire de Rodolphe II, reprenant les Cod. min. 129 et 130 de la Bibliothèque nationale d'Autriche, mis en œuvre par Manfred Staudinger, avec des textes de Herbert Haupt, de Thea Vignau-Wilberg et de Eva Irblich. Ce très grand et gros volume reprend les gouaches réalisées pour la plupart par Daniel Fröschel sur parchemin.

Les mystères qui entourent les actions de Rodolphe II de Habsbourg, ainsi que ceux qui concernent ses collections, ont contribué largement au développement d'un climat de légendes et de rumeurs à son égard. N'est-il pas simultanément celui dont on a dit qu'il a aplani les luttes religieuses, étouffé les conflits politiques et travaillé à la promotion des arts et des sciences ?
Aujourd'hui, encore, de tous les Habsbourg, il est le plus controversé et celui dont la personnalité est la plus difficile à cerner.
Qui a dit qu'il existe entre les collectionneurs et les objets auxquels ils tiennent, une étonnante similarité ?

Rodolphe II collectionné - Poste tchèque, 1997
Rodolphe II collectionné - Poste tchèque, 1997

© 2012 collectiana.org - Fondation d'utilité publique - bloc-notes d'Axel Gryspeerdt - Tous droits réservés
ombre