Colette Brissaud-Mendes et Philippe Brissaud (né en 1947),
l’entrée des collectionneurs dans la controverse à propos de l'authenticité des œuvres
Les poteries africaines contemporaines
Bien qu'il s'agisse là d'un couple de collectionneurs, Philippe Brissaud tend la perche à Colette Brissaud-Mendes, sa femme, en lui donnant le rôle principal dans leur collection de poteries africaines modernes, qui représentent des visages. La plupart de celles-ci mériteraient de figurer dans l'ouvrage
L'art de la grimace (Martial Guédron, Ed. Hazan, Paris, 2011), tant les faces tantôt bestiales, tantôt humaines sont porteuses d'une expression émotionnelle forte.
Au nom de son épouse, Philippe Brissaud explique les choix effectués en matière d'œuvres africaines, ne défendant guère le critère d'ancienneté de celles-ci comme un élément déterminant. Usant bien au contraire d'une certaine tolérance envers les marchands sans qualité d'expertise, le collectionneur est principalement attiré par l'énergie profonde qui se dégage des céramiques, l'expression des traits des visages et la tenue générale de l'œuvre.
Bien souvent, la figure se présente perchée sur une sphère qui sert de vase ou de récipient divers. Les émotions, les cris poussés par ces figures de terre aux bouches souvent démesurées sont tellement aigus que se manifeste une impression de vie, aussi violente que celle montrée par Kaspar Utz face à ses propres faïences de Dresde dans le roman éponyme de Bruce Chatwin ( Utz, Grasset, Paris, 1990 ). Mais l'iconographie d'un bestiaire foisonnant, composé de singes, de buffles, de batraciens, d'éléphants, ou encore d'animaux fantastiques, présente dans les poteries africaines du couple Brissaud attire elle aussi tous les regards.
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Céramique Mangbetu, collection C. Brissaud-Mendes |
Difficile d'être totalement insensible face à ce zoo haut en couleurs, même si la couleur dominante est souvent celle de la terre cuite. Les œuvres semblent faites pour distraire et pour amuser. Il n'est dès lors pas étonnant que ces terres cuites africaines expressives passionnent énormément les époux Brissaud.
Selon l'expression utilisée par Philippe Brissaud lui-même, « l'inventivité formelle » des potiers « triomphe » (Philippe Brissaud,
Poteries africaines figurées modernes, Actes Sud / Musée de Soissons, 2008) : les coiffures sont soignées, des incisions apparaissent sur le visage et sur le corps, constituées de hachures, de pointillés et de formes spirales. Les motifs décoratifs agrémentent les œuvres.
D'une certaine manière, la collection accumulée par Colette et Philippe Brissaud est une façon de régler les comptes face aux « puristes » qui s'offusquent que des œuvres dites
d'aéroport puissent être conservées. Ces derniers prétendent à tout qui veut les entendre que ces produits façonnés spécifiquement pour « les touristes » ne présentent guère d'intérêt, sinon d'être l'objet du lucre de vendeurs peu scrupuleux sur l'origine des œuvres.
Aux collectionneurs qui ne partagent pas leur conception, ils répondent par des répliques cinglantes, mais nuancées. Resituer l'œuvre dans son contexte africain ne leur pose pas de problème : ils estiment que cela fait partie de leurs prérogatives, de même qu'un regard anthropologique ne les effraie pas. Au contraire, il éclaire leur pratique. Plagiant le livre de Laure Meyer, on peut aisément faire l'hypothèse que l'idée de cette dernière leur convient parfaitement quand elle décrit dans son programme son souhait d'
« apporter au lecteur non spécialiste quelques notions essentielles d'ethnologie pour faire sentir pleinement la beauté, la puissance, le raffinement ou le caractère terrifiant de certains aspects des arts de l'Afrique » ( Laure Meyer,
Afrique Noire. Masques, sculptures, bijoux, éd. Pierre Terrail, Paris, 1991, p. 10).
Par contre, ils affichent la conviction que les œuvres vraiment authentiques ont disparu, que ce soit de manière naturelle (climat, insectes), accidentelle (ex. incendie) ou humaine, laissant place soit à quelques mystérieux stocks, soit – et cela paraît plus probable – à une poursuite actuelle de la production dans certaines régions du Cameroun, du Nigeria ou de l'ex-Congo belge.
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Collection C. Brissaud-Mendes |
Affirmant, dès lors, haut et fort le plaisir que leur procurent ces œuvres et la légitimité de leurs goûts, les époux Brissaud rompent une lance en faveur du droit des collectionneurs à ne pas s'embarrasser d'un attirail cognitif complexe sur l'origine, sur l'utilisation et sur le moment de fabrication des poteries. Ils savent d'ailleurs pertinemment bien qu'aucun des marchands africains auprès desquels ils se fournissent en France, ne pourra les éclairer sur la provenance de celles-ci.
Que ces marchands n'aient pas bonne réputation les laissent froids, tout comme le fait que musées et galeries bien établies boudent ce type de céramiques. Ils confrontent leur propre délectation devant les objets façonnés à la satisfaction que donneraient des objets
vrais, ayant rempli un rôle rituel ou une fonction domestique utilitaire. Ces derniers à savoir les poteries traditionnelles ont effectivement servi tour à tour à des échanges entre souverains africains ou à des cadeaux honorant les autorités coloniales, surtout dans les premières années du XXe siècle. Les Brissaud se doutent que
« l'artiste africain n'obéit pas à une « inspiration » totalement libre, mais répond toujours à une commande émanant d'un souverain, d'un devin ou d'un officiant d'une culture » (Laure Meyer, op. cit., p. 11 ). Mais cela ne les importe que peu. Ils accordent leurs regards aux objets figuratifs non anciens qui se laissent savourer par leur forme, leur coloris, leur gestuelle ou leurs attitudes. L'artisanat de qualité satisfait pleinement leur niveau d'exigence ; ils ne recherchent pas une provenance archéologique, se contentant d'admirer des pièces qui relèvent avant tout des arts décoratifs.
Ainsi les voici devenus, bien au-delà du simple plaisir de collectionner, la preuve que des revendications de nature idéologique caractérisent parfois l'univers des collectionneurs.