William Hearst (San Francisco, 1863 – Beverly Hills, 1951)
se reconnaît-il dans la boule de verre à neige de la Noël de Citizen Kane ?
Des objets hétéroclites, susceptibles de procurer une émotion forte
Ne se contentant pas d'accumuler les titres de journaux de presse tout au long de sa vie, le magnat américain William Randolph Hearst a également, à la mesure de sa propre personnalité, constitué autour de lui un autre empire, en se bâtissant, avec une pléthore de moyens financiers, une gigantesque collection d'objets d'art les plus hétéroclites.
Il entassa ceux-ci dans son palais de San Simeon, proche de Los Angeles, où on peut encore les admirer aujourd'hui, et dont les Européens, enclins à penser qu'il s'agit de traces de mauvais goût, se gargarisent en se moquant de leur démesure et des mélanges absurdes. Il bourra aussi d'objets les plus divers les bâtiments annexes du château et les autres propriétés qu'il avait acquises.
Sarcophages, sculptures égyptiennes, vases grecs, bois polychromes ou dorés, statuettes religieuses, lustres et meubles baroques, coffres et chandeliers, cheminées et tapisseries, diptyques et retables, pièces d'orfèvrerie et d'horlogerie, voilà un ensemble éclectique d'antiquités et de tableaux achetés pour la plupart en Europe lors de voyages et à partir de catalogues de ventes aux enchères.
Pour le patron californien s'agissait-il d'affirmer, à tout prix, sa richesse, son pouvoir et sa puissance ? De rivaliser avec ses concurrents et les autres hommes d'affaires de l'époque ? D'offrir à ses invités de marque les plus fastueuses fêtes mondaines dans un environnement que l'on qualifierait aujourd'hui de démentiel ? De satisfaire des goûts déjà présents dans son enfance ? De constater, comme tout un chacun, enfouies profondément en soi, la présence de quelques ombres, de quelques faiblesses, de quelques angoisses ? De traduire une profonde inquiétude face au temps qui s'écoule et à la mort qui se rapproche ?
Le regard porté par le célèbre historien Daniel Boorstin est plutôt acerbe.
« J.P. Morgan, écrit-il,
savait choisir ses pièces ; William Randolph Hearst, lui, constitua une collection d'objets disparates et dilapida sa fortune pour acquérir une sorte de grand bazar dont le seul intérêt était de fournir aux préjugés européens une autre illustration des extravagances propres aux riches Américains » (Daniel Boorstin,
Histoire des Américains, Robert Laffont, Paris, 2003, p. 1407). Et pour étayer son propos, il cite le film
Fantômes à vendre réalisé en 1935 par René Clair.
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Collection Hearst, San Simeon |
Mais, dès lors qu'il s'agit de Hearst, chacun se tourne plutôt vers le cinéaste Orson Welles dont le
Citizen Kane fournit un témoignage romancé. S'attardant tout au long du film sur les travers de la personnalité de Charles Foster Kane et filmant les innombrables objets accumulés dans le palais de Xanadu, le réalisateur n'hésite pas à nous décrire les derniers souffles du vieillard laissant s'échapper une boule de Noël qui éclate en mille morceaux de verre. Dans toutes les mémoires, le terme « Rosebud », difficilement articulé par le mourant, renvoie à la luge incarnant l'objet mémoriel de l'enfance. Mais certains critiques y voient principalement une allusion aux femmes aimées par Hearst. Et d'autres la disparition de son héritage, ou encore celle de tous ses souvenirs.
S'il fallait en tirer une conclusion, ne serait-on pas finalement amené à penser que tout être, même intriguant et suffisant, puissant et arrogant, influant et autoritaire, contient des secrets qui sont souvent aussi lourds et indéchiffrables que les raisons mystérieuses qui l'ont amené à accumuler des objets ?
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Boule à neige dans la main de Kane |