Axel Munthe (Suède, Oskarshamm, 1867 – Stockholm, 1949)
dans sa villa San Michele d’Anacapri : un héritier de Tibère
Amener les objets à Capri
Selon Bruce Chatwin, qui ne le portait pas dans son cœur, Axel Munthe
« collectionnait les têtes couronnées comme il collectionnait les antiquités » (Bruce Chatwin, Parmi les ruines, Anatomie de l’errance, Le livre de poche, Biblio, 2006, p. 211).
Axel Martin Fredrik Munthe, médecin spécialisé en maladies nerveuses et adepte des hypnoses, s’était établi sur l’île de Capri, où il avait acquis des terrains et où il rédigea en 1929 un livre qui connut un énorme succès.
Le livre de San Michele est un récit autobiographique et un ouvrage de réflexion sur sa vie et sur ses actions. Le docteur suédois y raconte notamment qu’il reçut à plusieurs reprises la reine Victoria de Suède venue le consulter dans la villa qui porte ce nom, villa qu’il avait aménagée et patiemment restaurée, à Anacapri.
Selon Bruce Chatwin, Axel Munthe peut être comparé à l’empereur
Tibère (Tiberius Caesar Divi Augusti Filius Augustus, né à Rome en 42 av. J.-C. et décédé à Misène en 37 apr. J.-C.), autre occupant extravagant de l’île de Capri, auquel le médecin serait identifiable.
Amoureux de « vieilles pierres » comme ce dernier, Munthe était totalement fasciné par les beautés naturelles de l’île, par son profil escarpé, par ses coins et ses recoins, par son exposition au soleil et surtout par la vue sur la mer. Comme lui, il accumulait des statues et des bronzes et se plaisait à contempler les vestiges du passé.
Pour appuyer son propos, l’auteur américain ajoute que
« Tibère possédait douze maisons sur l’île. Munthe se devait d’en avoir douze. Tibère collectionnait les statues. Munthe devait, lui aussi, avoir des statues. Mais au lieu d’admettre que celles-ci provenaient de banals antiquaires, de Naples ou d’ailleurs, il préférait envelopper ses «découvertes » de mystère» (Bruce Chatwin, op. cit., p. 214).
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Villa San Michele |
Cependant, Axel Munthe apparaît davantage semblable à la figure de
Johann Wolfgang von Goethe, avec lequel il partage le même amour des ruines et la même passion des antiques.
Un bref inventaire des objets conservés par Axel Munthe dans la
villa San Michele amène en effet à penser à ce célèbre tableau du poète allemand « Dans la campagne romaine », que Johann Heinrich Wilhelm Tischbein a peint en 1787. Portant un chapeau à larges bords et un grand manteau de voyageur dont la blancheur attire les regards, Goethe semble accoudé sur des ruines, sans doute celles d’un obélisque. En représentant à ses côtés un morceau de chapiteau et un bas-relief, ainsi que dans l’arrière-fond quelques anciennes tours et colonnes, Tischbein a voulu affirmer l’amour que Goethe portait aux objets du passé et auxquels le poète allemand consacre de nombreuses pages dans son
Journal d’Italie.
Goethe y relate notamment, avec force détails, son amour des objets de tous types, découverts dans les campagnes italiennes ou chez les collectionneurs de Naples, de Rome ou de Sicile, et ramenés avec soin et précaution à Weimar en Allemagne.
Il suffit de se promener aujourd’hui dans la villa San Michele, laissée en l’état à la mort du médecin, pour trouver un ensemble d’objets de même nature que ceux sur lesquels Goethe jeta son dévolu : grandes représentations de Médée, plâtres et bustes, bas-reliefs de sarcophages, amphores et colonnes ioniques, stèles funéraires ou encore épitaphes romains.
Le même intérêt pour la nature se retrouve chez les deux écrivains ; amour des pierres et des phénomènes naturels de toute sorte en ce qui concerne Goethe, observation et protection de la nature et en particulier des oiseaux pour le médecin suédois. Ce n’est pas pour rien que Munthe a fait déposer un sphinx qui domine la nature escarpée, à l’endroit le plus marquant du paysage.
Il est vrai que chez Munthe le vrai coexiste avec le faux ; beaucoup de bronzes sont des copies ; l’origine d’autres objets est incertaine. Mais Goethe n’était pas non plus trop attentif à l’authenticité des objets recueillis. Le témoignage du passé, l’esthétique, le caractère singulier l’emportent nettement.
Les goûts, comme les objets, se transmettent. Tibère, Goethe, Munthe ne partagent-ils pas, à des siècles de distance, les mêmes passions pour les « italianités », pour « les pierres », pour les sculptures anciennes, les bronzes et les plâtres et toutes ces choses que nous appelons antiquités (pour lesquelles Tibère avait incontestablement moins de recul) et pour les merveilles de la nature ? Une lignée traversant les générations semble s’établir, animée par les mêmes démons.