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Une collection de « Fabiolas » : Francis Alÿs (Anvers, 1959 – vit à Mexico City).

Francis Al˙s
Pourquoi collectionner des copies de tableaux ?
Un collectionneur d’images de Fabiola.
Sachant que Francis Alÿs est un artiste d’origine belge, certains auront une tendance naturelle à associer aux œuvres collectionnées la Reine Fabiola, épouse du regretté Roi Baudouin. Mais, à vrai dire, chacune de celles-ci présente une parenté avec le portrait de sainte Fabiola – elle aussi, si l’on ose dire – peinte au XIXe siècle par Jean-Jacques Henner.

Qu’il s’agisse de La femme au divan noir, datant de 1865, de La chaste Suzanne (même année), ou de Madeleine priant ou encore d’Idylle ou de Solitude, Henner est surtout connu pour ses nus féminins. Fortement vêtue par contre, sa Jeune fille se chauffant les mains à un grand poêle est tout à fait charmante, voire craquante. Et le visage de la sainte Fabiola, peint en 1885, atteint en quelque sorte au sublime, Alÿs n’hésitant pas à le confronter, en notoriété, voire en qualité, à la Joconde de Léonard de Vinci. Il est vrai qu’au Mexique où habite l’artiste, la sainte est l’objet d’un culte toujours fort vivace et que sa représentation se retrouve dans la moindre chaumière.

A l’image de Francis Alÿs, la collection est déconcertante : des centaines de dessins, lithos, photographies et peintures, quasiment toutes semblables, mais finalement toutes différentes. Mais aussi des assiettes, des broches, des émaux, des broderies, des céramiques, des pièces en bois – tabatière, bas-reliefs –, des objets en verre. Ayant en commun d’être des reproductions quasi fidèles de l’œuvre de Jean-Jacques Henner. Certes, le visage est parfois tourné vers la droite et non vers la gauche ; maquillé ou non ; la couleur du voile oscille entre toutes les nuances du rouge et de temps en temps s’en écarte pour verdir ou atteindre des tons grisâtres. Il arrive que la face de la sainte – montrée généralement de profil – donne lieu à des multiples selon une même représentation, ainsi en est-il notamment d’un triptyque. Mais on est saisi par la multiplication quasi à l’infini du même référant, de la même icône, toujours idolâtrée, et choisie avec soin et recherche de complétude par l’artiste d’origine belge vivant au Mexique.
Quant à l’œuvre originale, elle a totalement disparu, sans doute perdue au fond d’un atelier, d’une réserve de musée, d’un coffre de collectionneur. Tout au plus doit-on se contenter des milliers de reproductions.

Fabiola par HennerFrancis Alÿs prend un certain plaisir à montrer sa collection et l’a ainsi exposée à New York, à Los Angeles, à Londres et à Bâle. On raconte même que lorsqu’il a prêté soixante-deux de ces portraits à la Biennale de l’île de Saaramaa, en Estonie, vingt-six d’entre eux furent remplacés par des copies. C’est ainsi que cette collection que Francis Alÿs prétendait composée d’œuvres vraies, est depuis lors mélangée à vingt-six pièces fausses.
On ne peut que se demander qui est cette sainte Fabiola, qui mérite tant d’éloges et que Warhol a négligé de reproduire à l’infini.
Une des femmes de l’Eglise catholique. Et de surcroît une femme mariée deux fois, la première fois avec un homme que saint Jérôme n’hésite pas à décrire comme particulièrement brutal et dont elle s’est séparée. Une sainte divorcée, reconnue par l’Église. Devenue, bien malgré elle, la sainte patronne des femmes battues, victimes de violences, et des divorcées. Mais aussi, vu sa générosité à construire des lieux pour aider et soigner les malades, sainte patronne des infirmières.
On peut aussi se demander qui est ce Francis Alÿs, si fébrile devant sa collection, n’hésitant pas non plus à accumuler des dizaines de «collectors» de sa fabrication, appareils dotés de petites roues et destinés à recueillir dans les rues de Mexico tous les objets qui par force magnétique se collent à eux. Mais chacun de ces « collectors » a reçu son identité propre, chacun d’entre eux ayant des traits distinctifs.
Ce qui n’est pas le cas de la collection de « Fabiolas » par Francis Alÿs.

Collectionner la sainte Fabiola ne serait-elle pas une manière originale d’appliquer le principe d’Umberto Eco, selon lequel le musée le plus parfait n’est autre que celui qui s’organise autour d’une seule œuvre ? Le fait que l’œuvre originale ait disparu ne peut qu’en accroître encore davantage l’impact d’une manière quasi prodigieuse.
La collection en question n’est-elle pas aussi une façon particulièrement habile de nous amener à nous interroger sur la place et la fonction des images dans notre vie ?

Francis Al˙s Fabiola
Francis Al˙s Fabiola
Francis Al˙s Fabiola
Francis Al˙s collector
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